mercredi 16 octobre 2013

Courrier 2

"Une bouteille d'encre que l'on débouche du bout petit des dents.
Croissance exponentielle des fleurs sur trois des cinq continents.
Ce lourd caillou saillant sur lequel tu avais, soigneusement, gravé nos deux prénoms, enfant.
L'héritage, les allers-retours à la banque, voir le visage des proches dans le noir, décomposé.
Ce baiser que tu posas sur le front d'une jeune fille.
Qu'est-elle devenue d'ailleurs ? Fait-elle le tour du monde en compagnie d'un prince 
Ou pousse-t-elle un caddie en banlieue parisienne ?
Cette cascade où tu pensais, à chaque fois que tu passais devant, qu'il y avait une longue salle cachée juste derrière.
Un jour, tu t'es aventuré, tu as, de ton bras nu, écarté le rideau de l'écume, ces cheveux vifs et blancs abritant le trésor et tu as vu, très vite, qu'il n'y avait rien, rien d'autre qu'un odieux mur de boue.
Depuis, tu ne t'aventures plus, tu as cessé d'imaginer pour te recroqueviller dans le définitif.
Adieu vivance, théâtralité du quotidien, adieu prestiges du rêvé.
Tu as quitté ta forêt, tu as quitté ta nuit."

Recevoir ces quelques mots avait quelque chose de miraculeux. Parce qu'ils étaient écrits, noir sur blanc, par une main inconnue. Et que cette main, en me les destinant, souhaitait communiquer ou mieux encore me connaître. Cela voulait dire que j'existais et que l'on m'estimait suffisamment valeureux pour comprendre le poids véritable de toutes ces phrases. Cela voulait dire que la vie ne s'était pas finie autour de moi et que mon entourage n'était pas un peuple d'invention qui déambulait dans ma chambre pour me faire croire à je ne sais quelle logique. Cela voulait dire que la maladie ne m'avait pas effacé totalement des tablettes de l'existant et que, quelque part sur cette Terre, on se souciait de moi.

C'était déjà une victoire que cette lettre-là. Qu'importe qu'elle fût écrite maladroitement et paraisse faussement énigmatique, je la chérissais comme mon ombre. Néanmoins...

Je n'ai jamais, d'après mes souvenirs, tracé mon nom sur une larme rocheuse. Tout comme je n'ai jamais choisi le front pour embrasser mes tendres. Quant à la cascade, elle semble être un élément purement métaphorique donc je ne m'y attarde pas mais quand bien même je le ferais, les seules cascades que j'ai pu voir avant mon diagnostic se trouvent uniquement dans l’œuvre de Leblanc.

J'ai si peu voyagé vous savez. J'ai seulement vu la France et ses départements. Du soleil rasant de la côte andalouse au froid acupuncteur du plateau bavarois, je ne connais que des représentations figées et encyclopédiques.

A un moment, j'ai fini par penser, devant tant de bizarrerie, que j’avais reçu par erreur cette lettre. Que j’avais reçu celle-ci à la place d’une autre ou à la place de rien. Mais c’était nier l’indéniable puisque mon nom figurait bien sur l’enveloppe ainsi qu’au bas, dans un griffonnement presque indistinct, de la lettre en question.

Le seul nom manquant était celui de l’auteur, soit le plus important.



A3337




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