dimanche 4 août 2013

La main tranchée (final)

C'était cette ataraxie qui l'avait, heureusement, écarté de la suite des événements alors que, tout à coup, elle fut par trois fois poignardée dans le cou.

C'était l'acte d'un homme dont une main manquait et qui serrait dans l'autre une paire de ciseaux.

Elle s'effondra dans la seconde, le trou creusé par les ciseaux laissant s'échapper de fortes giclées rouges qui peignirent le bitume d'un bordeaux métallique.

Valentin était sous le choc, ses yeux baignaient dans l'inertie de l'accident, celle qui fait que tout paraît irréel et comme en décalage avec nos habitudes. En bas, Esther mourrait avec, au dessus d'elle, son meurtrier qui semblait psalmodier quelque chose. Après chacune de ses respirations, la terreur de Valentin gagnait en épaisseur et en crédibilité. Les heureuses hypothèses de farce organisée ou de coups non mortels allèrent une à une s'évanouir dans un coin. Cela devint inéluctable, il avait beau faire cligner ses paupières et se mordre la langue, l'image d'Esther étendue dans son sang ne disparaissait pas. Elle avait été blessée mais, mais, il pouvait, après tout, peut-être encore la sauver ?

Animé d'une vélocité jusqu'à lors insoupçonnée chez lui, il délaissa l'ascenseur trop lent pour avaler par dizaines les marches des escaliers. En un éclair, vert comme ses yeux filants vers le danger, il arriva sur les lieux du crime où se tenait, encore, son premier responsable à l'amputée main gauche.

Dans sa hâte, Valentin avait oublié de s'armer, d'un couteau de cuisine ou d'un simple pied de biche, mais ce détail était insuffisant à contenir sa hargne qu'il élança en bloc en direction de l'assassin. Ce dernier, avec maladresse pourtant et presque en claudiquant, parvint à éviter l'assaut avant de tourner en vitesse les talons et de se réfugier dans le métro voisin. Tout ce que remarqua alors Valentin à propos de cet homme au physique quelconque et au-delà de son amputation, ce fut son front, sur lequel était inscrit à l'encre brune les huit lettres suivantes : C.L.E.M.E.N.C.E. Clémence, un prénom, une qualité.

Valentin songea à poursuivre l'horrible individu, pour qu'il paie, parce qu'il devait payer pour son infâme outrage mais, intelligemment, comme la menace était pour le moment chassée, il préféra rester auprès d'Esther qui gisait, inconsciente, sur le sol. Elle avait perdu énormément de sang, un sang qu'il tenta de remettre, avec ses doigts tremblants, à l'intérieur du corps tiède. Guérir un corps humain n'étant malheureusement pas aussi simple que de remplir une bouteille de vin qu'on aurait renversé, Valentin, dépassé par la situation, se résolut à appeler au secours, d'abord autour de lui, puis en se servant de son téléphone.

Comme les secours tardaient, il finit par s'essayer à l'improvisation pour soigner son amie, s'inspirant pour cela des différentes techniques médicales vues par lui dans les films. Se débattant avec une détresse et une abnégation proprement terrifiantes, il compressa alors la plaie de ses mains nues, entreprit un bouche à bouche avant de tenter, en dernier recours, un massage cardiaque. Il réussit, par manque de méthode sûrement, seulement à lui casser quelques côtes et à augmenter l'afflux sanguin se déversant du cou.

Il persista pendant cinq bonnes minutes avant de comprendre qu'ici, la fille ne se relèverait pas comme par magie, les traits un peu tirés et pleine de reconnaissance, qu'ici la fille était bien morte, qu'Esther était bien morte, emportant avec elle son coeur et ses espoirs.

Abattu et en pleurs - bien que sa terreur était trop grande pour qu'on puisse constater quelque trace de larme - Valentin lui prit la main, cette main douce et blanche qu'il venait de perdre et qui reposait maintenant dans sa paume rougissime. A genoux près d'Esther qu'il serrait contre lui, Valentin leva les yeux au ciel et ses beaux yeux, apeurés et perdus dans l'horizon d'un ciel fait de bleus et d'aciers, avaient une teinte jaune.



Léonor Fini - Voyageurs en repos

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