mardi 14 août 2012

Vers la rue d'Idalie

C'est là, tout près du bois de Vincennes, que tu es né.

J'étais épuisée alors, ma tournée européenne semblait sans fin, je prenais des trains pour l'Allemagne, des avions pour l'Espagne et des taxis aussi, par milliers. Mais celui-là tardait. Il devait me conduire au vernissage d'un ami - un peintre sans talent que je connus à Londres par une soirée d'ennui - réclamant ma présence, en tant que clou du spectacle. 

Je n'ai pourtant rien de spectaculaire mais que veux-tu, les vieilles croyances ont la peau dure, les gens persistent à croire que les écrivains qui les passionnent tant sont, en eux-mêmes, des êtres passionnants. Quelle regrettable erreur ! Certes, des hordes de lecteurs furent apparemment séduites à la découverte de mes magiques histoires mais ça n'a pas modifié la femme que j'étais, ni cette cruelle timidité que j'ai fait mienne depuis ma tendre enfance. 

J'ai toujours eu un peu peur des autres, et même aujourd'hui, même devenue multi-millionnaire et reconnue par tous, je me sens curieusement faible, comme si tous ces succès n'avaient pas effacé la fille triste d'autrefois. Alors pour le clou du spectacle, on repassera, à part si ce clou scelle un pénible cercueil.

Oh, je ne manque assurément pas d'humour et puis de répartie, tant qu'on me demande de m'exprimer en petit comité. En face à face, je suis la meilleure du monde, devant un amphithéâtre plein en revanche, je me sclérose maladivement. A croire que la foule, pour moi, a tout d'une Eurydice...

Il faisait chaud ce jour-là, je m'en souviens très bien, et j'avais la chance, rarissime ces temps-ci, d'être complètement seule. 
J'attendis dix minutes sans que le taxi vint, à la onzième, ma poche vibra. Comme je détestais ces vibrations ! Elles avaient prises, à mesure que ma célébrité croissait, des allures de rappel à l'ordre, de ces rappels à l'ordre hurlés sèchement par quelque geôlier nous surprenant, les yeux levés au ciel tandis que nous travaillons, les pieds liés et dans la neige, à couper du petit bois pour le foyer du général en chef. 

Bien décidée à m'évader pour de bon, j'éteignis mon téléphone, disparaissant par la même de tous les radars environnants, retrouvant également mon anonymat et toute la liberté qui s'y était mêlée. Peu après, abandonnant la borne où le taxi comptait me prendre, je me retournai et vis cet écriteau " vers la rue d'Idalie " et, dans son prolongement, une poignée d'hommes s'adonnant à un jeu de boules que je ne connaissais pas. 

C'est là, je le répète, que tu es né. Parmi ce sable où échouaient avec précision de lourdes sphères ferreuses, parmi ces rires étouffés que les joueurs faisaient après chaque lancer, réussi ou raté. Naître sur un terrain de boules, c'est assez  surprenant j'en conviens bien mais je ne l'ai pas choisi. Dans le calme estival de cette fin d'après-midi, je t'ai créé, Cédric, presque malgré moi, sans doute parce que tu me trottais depuis longtemps déjà. J'avais ton nom, manquait ton caractère, manquait ta destinée.

Pour enfin les définir, l'intervention de Cho fut décisive, le reste ensuite, coula de source. Du jeune homme excellent, objet de maints désirs et de maintes jalousies, de celui qui flirtait avec l'arrogance jusqu'à l'allié solide, jusqu'à l'ami, de tout ça jusqu'au martyr exemplaire que tu finirais par être, l'ensemble se régla vite.

Cédric, pardonne-moi, à peine t'ai-je donné la vie que je te l'ai reprise, pardonne-moi vraiment. Où que tu sois maintenant, ne va pas croire que tu fus un simple effet de manche car dans cette après-midi, j'ai préféré ta compagnie à celle de tous les autres, tu fus mon ami toi aussi, un instant de paisible clarté dans cette folle existence, digne de l'horlogerie, que je traverse au jour le jour avec maladresse.

C'est pour tout ça Cédric que je te remercie et après tout, la mort n'est peut-être rien qu'un Portoloin de plus alors j'espère, du fond de mon coeur que celui-ci, t'a mené vers un lieu où les vifs d'or sont lents et les joies multitude. 

Avec toute mon affection,

                                                                                        Joanne Rowling




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