mercredi 8 avril 2020


C’est mon anniversaire ! Et, comme chaque fois à cette date, je n’ai pas réussi à fermer l’œil de la nuit. Dehors, il fait déjà jour mais si faiblement que les oiseaux n’ont pas encore commencé à chanter. Dans la chambre, étrangement, le lit de mon frère est vide. Il se vante souvent d’être un grand garçon courageux mais j’imagine qu’il est parti dormir en bas à cause d’un cauchemar. Je descends l’escalier. La maison est chaude, plus que d’habitude, on a dû oublier d’éteindre les radiateurs car j’entends celui de l’entrée crachoter, brumisant au passage de son souffle toutes nos paires de chaussures. De derrière la porte de mes parents, j’entends mon frère et mon père ronfler, le tout en rythme comme une sacrée machine. 

J’avance ensuite vers la cuisine où je retrouve ma mère, également debout dès l’aube et sûrement dérangée par leurs respirations. Elle regarde au loin, et même si je ne la vois que de dos, j’arrive à en déduire que ses yeux sont très tristes. J’hésite à la surprendre. Finalement, conservant une respectueuse distance, je lui dis simplement : « Maman ? » alors elle se retourne et dans un geste mal maîtrisé, elle renverse une tasse posée en équilibre sur le plan de travail. L’objet éclate, provoquant une détonation qui, par réflexe, me fait reculer et refluer au niveau de l’entrée. Réveillé par le bruit, mon père accourt, je le vois passer devant moi sans me voir puis se jeter dans les bras de sa femme. « Que se passe-t-il, Lise, tout va bien ? » ; « Oui, j’étais ailleurs et j’ai juste fait tomber une tasse, rien de grave. » répond-elle d’une voix entamée par les larmes. « Ne bouge pas, je vais ramasser les morceaux. » Et mon père s’exécute mais lui aussi semble distrait puisqu’au moment de rassembler tous les fragments pour les jeter à la poubelle, il se coupe légèrement au niveau du pouce droit. Il saigne un peu mais surtout, plus inquiétant, il paraît sangloter lui aussi. Je ne le vois que de dos là encore de l’endroit où je suis mais, grâce au langage du corps, je le devine très bien. 

Puis, quittant un instant mes parents des yeux, je remarque que parmi les chaussures disposées sous la bruine brûlante du radiateur, les miennes sont absentes. J’entends alors ma mère dire, d’une voix calme et résignée : « Elle aurait eu huit ans. »

Mon père acquiesce, lentement, comme une machine épuisée, avant de se rapprocher d’elle. Dans les bras l’un de l’autre, ils forment comme un tout et, avec le sentiment de gêner si jamais je les avais rejoint, je décide, silencieuse et polie, de remonter dans ma chambre. Je m’allonge dans mon lit, essayant, malgré cet incident, de vite me rendormir. Le jour est maintenant levé et les oiseaux aussi. Ils chantent… « Happy Birthday ».


Simon Stalenhag - Crossing




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