jeudi 28 décembre 2017

The main antagonist (partie 1)

Elle lui revenait en boucle comme n'ayant pas fini de parler
(femme disparue est-elle femme aimée ?)

*

On s'était rencontré comme une faute de frappe, je veux dire par hasard mais avec une forme de récurrence cachée.
Il plut plusieurs fois ce soir-là, ça mit des rhumes dans certains cheveux, des paradis dans d'autres rendus géniaux par l'eau. Cela permit surtout une ambiance sonore et des ligues de reflets sur des trottoirs habituellement moroses. Je constatai l'un d'eux avec le vain espoir d'y voir s'élever une fleur, mythique puisque multicolore, quand je me rendis compte que se tenait près de moi, réel cette fois, l'immeuble où j'étais attendu.

C'était de ces immeubles sans beauté manifeste qu'une quantité de travailleurs sommairement payés avaient construit, il y a un siècle de cela, pour que l'histoire existe. Cette histoire était donc celle de notre rencontre, soit de l'entrée d'un homme dans la vie d'une femme. Avant elle, une infinité d'événements qu'on pensait importants et dignes d'exister avaient eu lieu pour nous : tu avais pris des trains et j'en avais pris d'autres, j'avais aimé, écrit des lettres et suivi des fantasmes et tu avais vécu plus ou moins pareillement. Nous avions vécu, en somme, ce que vivent les gens avant d'enfin goûter à la vérité nue. Des coups de foudre donc, des abandons aussi et des tonnes d'heures douloureuses incarnant l'entre-deux.

Et puis, à cette soirée qui ne devait laisser chez les autres qu'un souvenir diffus, finalement nous nous vîmes : vingt années dispensables mises d'un seul coup en face d'un instant d'exception.
Si la réalité avait suivi le cataclysme se jouant alors au sein de nos esprits, les murs auraient tourné au mauve, le plancher aurait vu son bois chaud se garnir de diamants, et la musique se serait arrêtée afin de laisser place à une chorale d'enfants. Mais la réalité n'était pas empathique à ce point et seule une reprise de la pluie commenta notre élan.

Ensuite, nous parlâmes. Tant avec les yeux qu'on rêvait de s'arracher, qu'avec ces bouches qu'on rêvait de recoudre sur la bouche de l'autre. En nous également, à chaque mot, brûlait le regret qu'il ait fallu vingt ans pour telle épiphanie ainsi que le remerciement car vingt ans c'était court et qu'on était en vie et bel et bien présent.
Le reste de la soirée fut à l'avenant, entre brûlure et prudence pour ne pas que cette flamme s'éteigne, brutalement, à la suite d'une parole pesée maladroitement.  Car nous nous savions amoureux mais sans savoir encore si c'était pour maintenant ; comme parfois des couples empressés se forment avec quatre ans d'avance ou sept de retard et s'aiment, tragiquement, depuis un espace-temps légèrement différent.

Il est en 2012, elle est en 2016, et malgré l'idéal qu'ils nourrissent consciencieusement chaque jour, il y aura toujours quatre ans entre leurs deux amours et quand en 2020, elle souhaitera voir le monde, lui vivra en 2016 seulement, sans nulle envie de voir ce monde au loin se présentant.

Et quand ce n'est pas le temps qui ternit le tableau, c'est l'espace lui-même qui le change de place, la mettant à Berlin alors qu'en Thaïlande, cet homme fait pour elle ne sait pas l'allemand.

Se rencontrer comme nous nous rencontrâmes était donc un hasard autant qu'un rendez-vous, un coup de chance autant qu'une médaille attendu à nos cous d'arbrisseaux si patients...dont les fragiles branches auraient pu continuer, jusqu'à ce froid hiver n'ayant plus l'énergie d'accoucher d'un printemps, à se raréfier en ramifications ne donnant aucun fruit ni trace de tendrement.

Se rencontrer comme nous nous rencontrâmes, à Paris,  avec quasiment le même âge et les mêmes ambitions, c'était de fait plus fou que de voir s'élever dans le reflet d'une flaque le commencement d'une fleur, mythique puisque multicolore, c'était trouver l'amour, et perdre un peu la mort.

*

A présent que tu es partie, et que cette soirée en boucle se répète, je me demande s'il est raisonnable que j'y repense comme j'ai fait fausse route, étant donné que cette fleur, puisque mythique en soi, mentait de toute façon.

Je me le demande en 2011, pas tout à fait à Paris, tandis qu'on entrera bientôt dans l'an 2018 et qu'à ma fenêtre, ne reprend aucune pluie.

*

Demain, j'aimerai, comme Georgui Markov mais pour d'autres raisons, être piqué à la cuisse alors que j'attends le bus. J'aimerai, comme lui, voir tomber le parapluie et passer trois quatre jours plongé dans la souffrance, avant que l'on efface, telle une faute de frappe, ma fine ligne de chance.

Mais je prends le métro et Berlin n'est pas loin, au fond quand on y pense.


Alphonse Allais * - Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige


* et tant mieux pour son ventre.

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