mercredi 11 novembre 2015

Icy

Un Paris où le soleil a lâché la rampe depuis étonnamment longtemps. Un Paris noir et sans littérature, peuplé de gens terrés chez eux et de cris sans réponse. Un Paris que les femmes ne peuvent traverser seules dès lors que la nuit tombe, parce qu'il y traîne toujours, derrière les pavés ou sous les gris trottoirs, quelques énergumènes prêts à les insulter ou à leur proposer l'amour avec un coutelas. Un Paris que la télévision continue de décrire comme onctueux voire paisible, malgré les bombes qui s'y plantent et les mains qui s'y perdent. La ville Lumière n'éclaire plus que les corps dénudées et marquées de jeunes filles battues.

Le vin, historique joie française, a lui aussi perdu sa robe et s'est changé en une eau noire, ferreuse et balayée d'alcools. Et les gens la consomment. Ils l'ingurgitent en la faisant chauffer puis couler lentement entre leurs pâles dents. Et les gens, modifiés, sortent ensuite à la poursuite d'un cul qu'ils rêvent de posséder. Ce cul n'est pas très différent du cul de leur jeune soeur, cette même jeune soeur qu'ils rabroueraient durement si jamais elle osait fréquenter qui que ce soit d'inconnu. Ce cul n'est vraiment pas très différent, il a presque la même masse, presque les mêmes ennuis. Mais, en aucun cas, cela n'empêche ces gens - issus pourtant de bourgeoises anciennes et copieusement éduqués par les presbytériens - d'hâter leur pas et d'ouvrir leur bouche à la vue d'un de ces culs.

C'est qu'ils ont lu Stendhal ces gens-là sûrement et qu'ils savent grâce à lui que plus une histoire est longue, moins elle peut finir bien. Alors ils sprintent vers son raccourcissement, ils interpellent ces culs semblables à ceux de leurs jeunes soeurs et leur parlent d'amour avec d'horribles mots. Naturellement, ils se font repousser et rentrent seuls chez eux ; à part s'ils sont suffisamment rodés par le vin et la nuit et, dans ce cas, ils prennent ce refus pour un "oui" clair à souhait ou joignent leur discours de plusieurs coups au ventre et d'attouchements violents.

Tous ces culs sont pour eux de toutes les façons, sinon pourquoi occuperaient-ils autant tous les espaces publics, toutes les façades d'immeuble et toutes les vitrines ? Ces culs sont leurs cadeaux de Noël dans ce 25 décembre permanent où la pluie chaude a pris le pas sur la neige sereine. Mieux encore, quand ces gens sont trop frêles (ou honnêtes ?) pour obéir à tous leurs voeux barbares, ils vont tout de même raconter après coup aux divers camarades qui partagent leurs verres, que tel ou tel cul fut sublime avec eux. Aussi, que les blondes sont des truies qui s'ignorent et que les fines brunettes, une fois décoincées, sont au moins aussi bonnes qu'un rôti dans le filet.

De fait, ils s'entraînent vers ces lieux fort obscurcis de l'âme où une soirée parfaite consiste à prendre sa voiture, avant d'aller héler, sans ménagement, les passantes obligées de passer dans leur champ de vision.
Généralement, les passantes et leurs culs réussissent à s'enfuir mais quelquefois, on les fait monter de force avant de les violer. Ces filles et ces culs sont à ce moment détruits, puis plongés dans un abysse tellement profond, qu'aucun baiser de mère, qu'aucune psychanalyse, ne peut plus les sauver.

Alors elles se suicident et leurs corps, marqués et désarticulés, atterrissent sur les trottoirs voisins, aux pieds de ces gens-là qui relèvent cette apparition crue d'un : "Quand je te dis que toutes les femmes sont folles."

C'est un Paris comme ça, ma foi, le Paris d'aujourd'hui. C'est un Paris où tous les éventreurs ont comme pignon sur rue et où toutes les femmes ont peur dès qu'elles sont vues.

*

Si seulement...la police ou l'armée pouvaient, plutôt que de chercher à concevoir l'arme la plus létale et silencieuse qui soit, conduire tous ces gens vers des camps d'harcèlement afin de leur apprendre le sens, entier et douloureux, de ce qu'il nomme frustration...

Si seulement ce texte n'était qu'un cauchemar et non un constat simple, réaliste et glaçant.


Artemisia Gentileschi - Susanna et les Anciens



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