mercredi 14 mai 2014

Est-ce qu'il pleut sur Neptune ?

T'as faux sur toute la ligne à part quand tu l'écris.
Là, tu te sens vraiment chez toi mais c'est encore plus faux. Il n'est pas de lieu plus dangereux que le lieu littéraire.

Même ces aventuriers qui virevoltent chaque week-end entre des nuées de fléchettes et de chauves-souris n'ont pas idée de la dangerosité, réelle, d'une pleine page blanche. Car c'est quelque chose de puissamment  fragile que ce papier vierge de toute inscription, car c'est aussi un mur terrible et granitique. C'est un colosse au corps autant tremblant que celui d'une enfant qui commence à marcher, un souffle et on le retrouve dans les roses, démembré. Pourtant, certaines autres fois, on aura beau le battre à coups de poing pendant près de trois heures, il restera stoïque et monstre de mutisme. Alors il convient d'y aller avec des outils fins, collant tout dessus son oreille et ses mains, comme un Lupin, comme un Don Juan devant la nudité de celle qu'il aime enfin. Mais bien souvent ça ne suffit pas, il y a des craquelures ou alors il n'y a rien.

La plupart du temps, en fait, tu écris pour te donner les armes qui serviront plus tard. Chaque poème est un marteau, chaque nouvelle une épée. Et avec eux tu creuses au-dedans de ce mur qui ne répond jamais, tu soulèves des pierres, espérant l'or, espérant découvrir des enchantées cités. Mais l'or et ses cités n'apparaissent pas, seuls surviennent la poussière et des bleus à tes bras. Tu la ramasses ensuite, faute de mieux cette poussière, priant pour qu'elle contienne un peu de jaune et d'aube mais c'est là chose vaine : la poussière retourne à la poussière et toi, juste, à tes appartements...

Ton lit est mystérieusement froid et comme vidé de tout attrait. Tu ne peux pas dormir car tu penses trop au mur. Tu te dis que tu étais à une pierre retournée de le faire céder et d'ouvrir finalement ses sous-sols aurifères. Et donc tu y retournes, décidé, et constates avec stupeur que toutes les pierres ont retrouvé leur place et que la page est blanche comme la neige au lac. La lucarne que tu avais mis tant de temps à peler n'est plus qu'un écran noir et devant lui tu dors, désemparé.

Au réveil, tu griffonnes, mortel, sur ton bloc-notes, quelques phrases vite faites. Celles-ci disent qu'écrire tient de la répétition, sans cesse, de la même question : "Est-ce qu'il pleut sur Neptune ?" et de la certitude de ne jamais avoir, pour deux jours de suite, une réponse qui vaille.


Serge Poliakoff - Gris-Bleu

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire