jeudi 15 octobre 2020

 Ils meurent et moi je reste

Ils meurent

Des petits corps, des gros, des rêveurs pour la plupart, qu'importe le contenu du dit rêve,

Ils meurent

Par infinies centaines, par milliers, millions, milliards si l'on compte bien, 

Ils meurent et moi je, rien

Non mais imaginez-vous vraiment les quantités de torses, d'yeux, de cartilages et coeurs qui sont quotidiennement transformés en autels 

Pour que leurs mères y pleurent ?

Elles-mêmes torses pas mal s'effilochant

Et cicatrices nombreuses au ventre et au dos...

Les imaginez-vous, ces colonies cadavériques qui partout nous entourent

Qui partout nous poursuivent ? 

Elles sont des têtes avec des expressions significatives, des fatigues, des sourires, des encouragements, elles sont, ces personnes, des gens... avec une bouche capable d'embrasser

Et des poings capables de faire mal 

Mais ont-ils fait tant de mal, avec leurs poings généralement très maigres, pour mériter de crever à cause d'une simple fièvre ? Ont-ils fait tant de mal ? Pour qu'un couloir, une rue, et des poubelles peut-être abritant nourriture, constituent les soleils s'agitant dans leurs crânes ? Ces mêmes crânes qui, ailleurs, autrement accompagné, aimé, désiré et soutenu, pourraient vivre de jardinages et de lectures, de baignades et de noces. Ces mêmes exacts crânes.

Ils meurent...

Ils meurent...

Par brouettes malgré le monde associatif, la croix rouge, médecins sans frontières, l'abbé Pierre et je ne sais quels encore communions d'âmes douces...

Mais ils meurent ! 

Et ça continuera jusqu'à ce que ce soit mon tour 

Et le tour également d'autres milliards de femmes, d'hommes et d'enfants...

Des corps, des crânes, des cerveaux s'éteindront d'avoir faim, d'avoir froid, de recevoir en pleine tronche un coup de botte ou une balle d'un quasiment voisin, d'un qui mourra aussi, quelques semaines plus tard sur un nouveau champ de bataille, et qui sera pleuré pareil, par une mère similaire, ressemblante en tous points à moins que morte elle-même, courtisée par les vers, par l'herbe, par la fin de la plaine, celle qui pousse en-dessous, toujours, toujours, galaxie de racines, de cendres et d'abandon,

La terre...

La Terre ! 

Elle meurt

Et vous, nous tous, 

Nous assistons... nous constatons, nous colmatons, nous...

Non, on...

On s'en bat les couilles au fond...

La famille d'abord

Ou si l'on est idiot, d'abord la nation...

Mais l'autre ? Secondaire, tertiaire, tréfonds ! 

J'arrête ici l'humaniste clairon.

Ils meurent

Nous mourrons 

Et pendant tout ce temps, excités, nous travaillons à leur ensevelissement. 

Oui, nous y œuvrons

Non pas en ne faisant rien, mais en faisant précisément

En produisant

Avec une cadence, une bêtise, surpassant aisément les plus fous des fantasmes des russes staliniens ! 

Et tout ça, toute cette production, c'est pas cette fois pour la guerre, 

Pas non plus pour la paix 

Non, c'est pour... 

On ne le sait toujours pas...

C'est pour... travailler, donner du sens sûrement aux néons ainsi qu'une raison d'exister aux chaises inconfortables et salles de conférence... c'est pour... travailler qu'on travaille...

C'est même pas pour l'argent, c'est pour garder la face 

Parce qu'au fond à quoi servent les deux-tiers des actuels métiers de production de masse ? 

Au plaisir et au divertissement ? 

Certes ! mais aucun film au monde, aucun livre, aucune toile, n'a égalé jamais l'extrême délicatesse du ciel quand à l'automne le jaune vient s'asseoir, comme s'il discutait, prenait le thé avec nous et les nuages, ce jaune, cet or fondamental... 

Il suffit de lever les yeux pour le voir 

Mais nos yeux...

Dans quel état ils sont maintenant

Je ne préfère pas savoir. 

Mais je suis sûr qu'ils meurent. 

Les yeux

Tous 

Ils deviennent des petits objets poisseux vaguement colorés...

Alors qu'avant, il y a une minute à peine, 

Ils faisaient tout les yeux. 

Ils faisaient tout, ils étaient tout, 

Comme les oreilles, comme les joues, 

Comme la voix, comme la boucle de nos doigts...

Quand ils se serrent chers 

Quand ils s'aiment, s'espèrent, s'estiment, se cherchent, se perdent et se retrouvent, quand ils s'ouvrent au-dessus d'un sucré fruit de chair, quand ensuite ils se ferment, et que cela descellent d'autres sorties, sublimes, incertaines issues sources de vie...

Quand on existe...

On ne sauve pas les autres qui à quoi ? Cinq cents mètres ? Continuellement décèdent.

On ne se sauve même pas nous-mêmes...

Mais on existe ?!

Ils meurent et moi 

Je t'aime.  


P-S : En vrai c'est la faute intégrale des vieux et des élites. 

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