J'avoue mourir de cette vie qui la mienne m'est déjà grandement prise.
Les trente ans sont passés, trente fruits d'oubliettes que des rats, survivants grâce à la chair d'autres rats moins féroces, bouloteront peut-être après quelques négoces. Un grignotera janvier 96 quand un deuxième fera son ventre sur printemps 2002. Ainsi se régaleront-ils de ce qui fut pour moi.
*
J'ai souvenir d'il y a plusieurs trimestres m'être fait déposer par ma mère dans la ville de Creil. C'était pour une histoire d'emploi
Ou au moins d'y prétendre
Et je me souviens d'être arrivé dans un lieu sans couleurs, dépersonnalisé jusqu'aux affiches aux murs, comme le sont tous ces lieux où échoue le mektoub.
Là-bas, le temps de faire semblant, de signer un papier promettant que je désirais par la présente intégrer un programme visant à me permettre de retrouver prochainement du travail dans un secteur de mon choix selon les offres à présent disponibles (celles-ci par ailleurs consultables gratuitement sur notre site internet ainsi que sur les différentes bornes mises à disposition, de 8h30 à 17h, du lundi au jeudi), le temps d'une petite heure donc,
J'avais eu l'impression de perdre un quart de cœur
Et que peu s'en fallait
Pour que bientôt l'entêtante musique ne se mette à sonner.
Et ce n'était qu'une demi-heure !
Alors maintenant que j'en passe quarante par semaine dans un endroit largement similaire *,
Comprenez bien que
J'avoue mourir de cette vie qui la mienne
M'est déjà grandement prise.
* la musique entêtante signalant mon abandon prochain est devenu ce qu'on entend
quand on pose son oreille
contre un coussin qu'on serre.
ET J'AI SURTOUT, au-delà de la musique, une de ces envies de VOMIR !
S'il n'y avait pas les masques compliquant cette action
Et la peur de gêner
Je vomirais éperdument et à toutes les stations.
Je vomirais aussi en mettant mon manteau, juste avant de sortir, puis lorsque je fermerai à clef après être parti, puis, encore sur le trottoir, puis dans les escaliers, puis dans le métro donc.
Je serais l'acide Petit Poucet, traînant derrière lui ses flaques d'angoisse,
Ces miroirs odorants où l'Erreur s'admirait.
Ah si je vomissais...
En pas longtemps on serait rendu,
Vidé
Vanné
Vaincu. Mais au moins sans plus rien sur le cœur
De ce qui actuellement
En vérité me tue.
*
J'avoue mourir de cette vie qui la mienne
Non ne m'appartient plus
(mais encore faut-il qu'elle
m'ait, un jour, appartenu...)
*
Quand les cafés rouvriront
J'espère que mes veines
N'auront pas pris de l'avance
J'avoue mourir de cette vie qui la mienne
En rien ne me ressemble.
Leonor Fini - Le bout du monde |
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