samedi 28 janvier 2017

Muse n°18 et quelque

Il y a dans l'écriture de sombres itinérances
Ainsi que des points fixes
Violents et purs
Qu'on appelle soleil, corps dénudés
Naissance.

Et du désir de l'autre à l'autre désirant
Nous couchons l'encre entre nos membres
Comme une tête de femme
Ou notre peau d'enfant.

Poésie cisaillée par l'aspect dérisoire des ombres revenues
Manger à la gamelle, à l'étang, à la source,
Une soupe cruelle sous l'oeil de la Grande Ourse.

Cette soupe, c'est nous et c'est le temps qui passe
Bol sombre où quelquefois, dans les miettes de pain
Se cachent au mieux la grâce.

Ainsi, de miettes de pain en miettes de pain,
Nous allons comme le garçon du livre
Sur ce chemin qui, de toute façon, à la toute fin délivre
La mort attendue d'un bonheur espéré

En somme la séparation, et du bon grain et de l'ivraie
Et même de l'idée, de céréales, de champs,
D'étés et de tensions.

La fin définitive du sang dans sa veine arrêtée
La fin du poème, comme une cuisse de femme
Qu'on aurait trop serrée
Avec la langue, les dents et la chair enfiévrée
La fin du poème comme une cuisse de femme
Après l'amour, couverte de plis, de pluie,
De blancheurs et de jours,
Autrement dit, par la vie,
Vidée.

Hans Bellmer - Unica Zürn

jeudi 19 janvier 2017

La beauté. Manifeste

Début du Manifeste de la beauté

Il suffirait au ciel d'enlever un peu sa bure...
Histoire de laisser les rayons, rares rayons, dormir sur sa poitrine. 
Poitrine, paysage relevé parfois caressé par des taches de rousseurs ou brun comme la mer quand on la laisse en paix...
Rêver et rêver encore, des plages impossibles où l'homme n'a pas encore posé son pied, soit en tant qu'excavateur, soit en tant que cadavre en fuite pour du beurre. 

Je n'ai plus envie d'écrire d'intrigue. De raconter la vie de ces gens qui ne sont pas moi bien que me connaissant. De plonger mes mains entre leurs côtes ou derrière leurs yeux, à la recherche d'un coeur ou d'un vice caché. Je n'ai plus envie de cela car nous sommes sept milliards et demi d'anthropomorphes qui glissent et se raccrochent sur la surface de ce miroir bas...sans qu'aucune racine ne puisse apaiser pour de vrai la glissade, sans qu'aucune racine ne puisse être empoignée parce qu'ici, les racines sont brûlées décade après décade. Alors, l'intrigue sans racine, c'est celle-là, celle qui cesse de croire et qui seulement voit. 

Que voir ? Les immeubles nous disent tout, géants faits d'ombres et de poutrelles pleines de la sueur d'ouvriers toussotant, les immeubles ont la langue du Temps. Mieux même, ils discutent avec Lui, entre deux buffets accablés de grincements et trois théières vides, décidément...et leur dialogue est stupéfiant...

Immeuble 1 : La Mort, cher Temps, ne nous inquiète pas puisque, enfin, nous ne fûmes, jamais vivants. 

Immeuble 2 : Tout à fait ! Jamais vivants, de la façon de ces êtres humains qui naissent avec dans le crâne une sorte de Vatican. Je veux dire par là un vestibule très blanc où rien ne passe sauf l'air pénétrant. 

Le Temps : Hm...

Immeuble 1 : Cher Temps, même s'il est certain qu'un jour le soleil se couchera, définitivement, sur la folie des vagues à la manière d'une fesse dans une bouée bon marché, nous, cela ne nous effraie pas. 

Immeuble 2 : Pas du tout, du tout. C'est la vie n'est-ce pas que de mourir dans le déliement horodaté d'un astre qu'on nargue à coups de bombes, de cauchemars et d'écolières depuis plusieurs poignées de millions d'années ?! N'est-ce pas que c'est la vie, ça ?!

Le Temps : Hm...

Immeuble 1 : Du reste, cher Temps, quand bien même nous aurions peur de manger la poussière en traînant sur notre dos, femmes, enfants, poussettes et serpillières, il serait superflu de donner à cette angoisse un semblant d'importance.

Immeuble 2 : Superflu parfaitement ! C'est la vie et pas autrement que de se mettre à schlinguer à un moment, parce que le souffle manque et que les bronches sont toutes noires en-dedans. C'est la vie et pas autrement, que de trépasser, dans un torrent de flammes ou parce qu'on a pas de nouvelles des yeux de notre femme.

Le Temps : Hm...

(ils discutent ainsi indéfiniment, Dieux pris au piège de la mortalité et mortalité contrainte d'écouter les babillements des Dieux)

Et donc, l'intrigue, et donc les personnages, pourquoi devrais-je les écrire alors que même le divin est incapable du moindre scénario ? Tous, je dis bien tous, me réclament des dents alors que plus personne ne mâche correctement. 
Vous, je dis bien vous, vous me réclamez des Marc, des Oscar et des Astrid mais que voulez-vous que j'en fasse ? Vous voulez qu'ils se rencontrent ou bien qu'ils vivent ensemble depuis vingt ans dans une période reculée de l'Histoire jusqu'au jour ou tel ou tel laquais au teint de givre et à la moustache lointaine viendra bousculer tout cela, avec ses mots, ses phrases jeunettes évidemment bien tournées, ses désirs de camaraderie d'abord avec le Maître et puis ensuite, bien sûr, avec Madame parce qu'il faut bien que couille se vide et que costume s'ébrèche ?

Non mais franchement pour qui me prenez-vous ? Pour un de ces auteurs qui envisagent encore la logique - le ressort dramatique parfaitement enroulée autour d'une conclusion, lugubre ou exotique selon le siècle et ses inclinaisons - comme étant le général en chef de la littérature et, par extension, de la vie telle qu'elle est ? Mais enfin, oui, certes, les épices de la logique sont douces pour le palais mais à force d'avoir les oreilles, les nez, les lèvres et les yeux plein à ras chaque jour de ces précieux paprikas, ne pensez-vous pas qu'on finit par en avoir notre terrible dose de ce beau sel hongrois ? 

Je désire simplement, humblement, en honnête homme tout honnête qu'il peut être tout en étant un homme, ne pas servir la soupe à un peuple déjà en train de la déglutir et/ou de la rejeter et donc en passe de ne plus savoir si le liquide épais qu'il boit actuellement est bien sa nourriture et non sa vomissure ravalée cinquante fois. 

Et qui dit absence de soupe dit présence de la viande ! Or, la viande, contrairement à ce qui est indiqué sur les boîtes de médicament que sont nos livres à présent, la viande ne se trouve pas du tout du côté des personnages, des Johanne Ganache et des Hubert Tarin, mais dans leur oubli total ! Alors, allons, lecteur, oublions, mimine dans la mimine et langue contre langue, ces archétypes aux soucis en forme de semestre et ces recours constants à la réalité dans tout ce qu'elle a de plus chic ou de plus ordurier. Oublions ensemble les tunnels immenses où courent ces policiers, que dis-je, ces longues armées de policiers, à la recherche du crime, du criminel, ou de leur rédemption. Oui, oublions, oublions, parce qu'en soi, dans notre vie à nous, celle où le crâne est complet et ne cesse de nous dire comme on a pas d'argent, ni assez de plaisir en dehors des jambes qu'on prolonge, des jambes qu'on enfonce, et bien dans cette vie où le crâne est complet, en soi, on s'en fiche complètement quand on apprend que Philippe Pritori, commissaire de son état, a enfin mis la main sur Philippe Michel, authentique connard versant à défaut de mieux - et parce que ça demande des tripes que d'être quelqu'un de bien - dans la prostitution et le grand banditisme.

Je veux dire, vraiment, à part si par hasard vous êtes son ami proche, vous n'en avez rien à fiche de la vie de cet homme qui a consacré le plus clair de son temps d'existence à cette idée vague qu'on appelle Justice quand on ose pas s'avouer qu'il s'agit en vérité de l'Etat souverain et que l'Etat en question est en fin de compte, selon lui et les gens qui font bouger ses membres, le moyen le plus sûr de tous nous emprisonner sans qu'on se décide à trop faire la guerre ou à pendre les Miss. 

Personnellement, en tout cas, je me moque éperdument de la vie des policiers, à part quand ils se suicident, seuls, dans le fond de leurs commissariats. Je pense alors à la tache de sang sur tous les documents, et je me dis qu'elle est la pièce à conviction la plus importante, l'empreinte la plus juste, la médaille la plus solide. Je me dis qu'elle vaut plus que tous les documents, que tous les murs et que tous les barreaux de ce commissariat, cette tache de sang. 

Malheureusement, le lendemain, elle sera effacée et les documents seront nettoyés puis remis à leur place. 

C'est, en partie pour cela, que je peine à voir l'utilité actuelle de l'intrigue, des personnages et de toute la batterie classique d'artifices encreurs. De fait, désormais, j'écris parce que les taches de sang sont plus importantes que tout le reste et pour ne pas qu'elles soient trop vite effacées. Idem pour le soleil qui est la plus grosse, et la plus belle, de toutes les taches de sang. J'écris pour ne pas qu'on l'efface, ce soleil, malgré l'empressement maladif des buildings à lui faire de l'ombre et l'écoulement métronomique des bombes, pâles copies, qui nuisent chaque semaine un peu plus à sa réputation. 

J'écris pour que la pluie, également, ne soit plus réduite à un de ces phénomènes météorologiques capables seulement de mouiller une chemise ou d'emmener une maison quand le vent, l'orage et la terre molle se mêlent à ses succions. 

J'écris, oui, pour que la pluie soit davantage qu'une raison de sortir un pébroque pétrole ou de ne le pas sortir. Pour que la pluie continue d'être un trésor pour les yeux, des ficelles, des cheveux, une mer inversée, un souvenir explosé de toutes les soifs du monde heureusement étanchées. 

Mes ambitions ne sont pas autres, mes chers Martin, mes chers Lucie, que de rendre à ce monde ses hallucinations. Loin des fumées de la cuillère se tordant sous le briquet, loin de l'Inspiration - quel drame que ce machin ! - soudaine du poète communiant par on ne sait quelle chance avec la Nature et tous ses polygones. Non, je ne suis ni drogué, ni inspiré d'aucune façon. 

Je suis simplement ce que je ne suis pas et de fait une pierre en quête d'horizon. 

Une pierre cherchant paume. Cherchant lac. Cherchant à ricocher... et son reflet, au gré des flaques... un présent imparfait. 

Le Temps : Hm...?


                                                                   Fin de la Beauté manifeste.


A Jennifer Salt



Chapelle funéraire de Zambrow - Morceau de danse macabre


















































samedi 7 janvier 2017

Lacrimosa

Deux yeux bleus me regardent, deux yeux bleus m'auscultent.
Deux yeux bleus cherchent à comprendre la maladie profonde vissée derrière la chair.
Deux yeux bleus comme un résumé de tous les yeux du monde.
Deux yeux bleus inquiets, touchés par l'autre puis désintéressés.
Deux yeux bleus qui se perdent, s'échouent, se brisent, parmi les lignes d'os et les trous du visage.
Deux yeux bleus désormais clos, indisposés à quoi que ce soit.
Deux yeux bleus, deux yeux juges juchés sur mes yeux.

Deux yeux verts qui ne savent pas voir.
Deux yeux verts qui ne peuvent plus voir.
Deux yeux verts qui peinent à entendre.
Deux yeux verts en vérité, qui pendent.
Deux yeux verts couverts par deux yeux bleus réclamant aux yeux verts d'être un poil plus bleus.
Deux yeux verts sans cesse agenouillés devant l'autorité, de la mère, de la peine, du médecin qualifié...

Deux yeux verts cachant, parmi les replis des couleurs, à quelques pas de là où tout s'irise et tout devient aveugle, le corps défoncé d'un bel arboretum.
Deux yeux bleus assis sur deux yeux verts comme sur une chaise longue, avec la même détente, la même condescendance vis-à-vis de l'objet servant sa soumission.
Deux yeux bleus sur deux yeux verts comme une pierre sur une bulle, et les dossiers médicaux, et les acquis sociaux, et le curriculum, et le fait de savoir si oui ou non Napoléon est mort le neuf, comme des planètes sur les fleuves.
Deux yeux verts s'éteignant à force de trop s'ouvrir et de recevoir, chaque fois, comme les restes d'une mine, daphnies de taille-crayon chutant infiniment sur l’œuf de vision.

Deux yeux verts rougis, bougies dont la cire tombe sur une feuille blanche.

Une feuille blanche, fraîche, sortant à peine de l'école et qui, sur le chemin jusque chez elle, se prend une grosse pluie.
Deux yeux noirs magnifiés par l'eau vive, enfin, l'enfant arrive.
Deux autres yeux noirs magnifiés la regarde, elle est fière, maman, de son enfant, et lui prépare son bain.
Deux derniers yeux noirs magnifiés interviennent, le père rentre du travail, il embrasse sa femme, sa fille, qu'il aime.

Deux yeux bleus ressuscitent par le passage d'une larme.
Deux yeux verts sèchent cette larme du bout des doigts.
Deux yeux verts se plissent et sourient jusqu'à disparition.
Deux yeux bleus imitent deux yeux verts, deux yeux bleus d'un bleu roi.
Deux yeux bleus, finalement, ouverts.

Unica Zürn - Le Démon amoureux

mercredi 4 janvier 2017

L'Après-viande (début)

Les couchers de soleil que nous partagions
Se couchent désormais dans le ciel du passé
Et il n'y a plus d'amour, pas plus que de passion
Dans ces lieux nostalgiques où tout est terminé.

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