mercredi 17 mai 2017

Hangwoman. Chapitre 3*

Loxosceles reclusa






La prévalence de la pornographie m'avait éloigné d'enjeux plus importants et de sensations, sinon meilleures, du moins incontournables. Comme pendant que j'exécutais mon thyrse dépassé par les acrobaties d'une jeune fille méritant monument pour un tel dévouement, dans la rosée autant que dans la chair esthétique à l'extrême, et qui ne recevrait sans doute, en vérité, que trois billets et demi et puis le déshonneur d'une grande partie de sa famille l'attendant au pays...j'oubliais, obsédé que j'étais par mon intime décoction, une douleur minime mais bel et bien réelle.

Celle-ci, inscrite à l'intérieur de ma cuisse, avait des airs, de par sa faiblesse, de piqûre de moustique. Voici donc pourquoi, en plus de mon entreprise caverneuse, je n'y prêtai pas tant d'attention que cela avant de me coucher, vide de tyrannie, dans mon lit d'étudiant.

Le lendemain la vie, comme toujours, prit le relais de la pornographie et cette piqûre que je ressentais chaque fois qu'elle frôlait contre mon pantalon ou tel coin de meuble, demeura secondaire, reléguée qu'elle était par les cours à suivre, les mauvaises blagues à faire et le choix cornélien des pâtes ou de la pomme de terre.

Ce n'est qu'au surlendemain, week-end oblige, que la piqûre devint un élément central. La douleur restait la même, bénigne et sans hauteur, mais la forme, elle, avait changé. Du point rouge imaginé, j'étais passé à une sorte de gonflement duquel pointait un téton noir et extrêmement sensible. Inquiété par l'aspect dégoûtant de ce sombre sommet, j'en fis, immédiatement mon affaire.

Sous la douche, de mes ongles, j'extrayais de la boule nerveuse le pus s'étant mutiquement amassé. Le tout avait l'air crémeux d'un mi-cuit parisien, ou d'un oeil mort de boeuf percé par une aiguille. Malgré la violence graphique de cette opération, elle n'occasionna pas de douleurs supplémentaires chez moi et du désinfectant et un pansement plus tard, je me pensais de nouveau homme libre.

Ma nuit se passa bien, outre une courte fièvre impulsée par l'été garé en double-file et que je mis au pas grâce à l'intervention d'une brunette en reverse-cowgirl. Quant à mon dimanche, il fut pour moi un jour reposant dédié aux spectaculaires ennuis qu'offrent la télévision, les comics et les divagations autour des volontés cardiaques d'Emilie, ma camarade de classe.

Lundi fut un autre jour dont la seule trace qu'il laissera dans l'Histoire fut qu'une banque fut le théâtre d'un braquage laissant deux types sur le carreau ainsi qu'un sachet de diamants en tout genre. Il y eut aussi l'inauguration d'un centre commercial et une grande avancée de faite sur le traitement futur du cancer du sein.
Mais à part ça, pas grand chose, des rangées d'heures inefficaces et dénuées de talent, tellement qu'il était tout à fait probable que durant cette journée, aucune naissance n'eut lieu dans nulle maternité.

Mardi m'octroya un pâlot onze sur vingt que je chérissais comme une victoire sous la pluie avec un joueur en moins. Tout simplement parce que j'étais tout sauf un élève modèle (n'en déplaise à mon auteur qui me fait user un vocabulaire n'ayant absolument rien à voir avec celui que je pratique vraiment) et que le sommaire dépassement du dix équivalait pour moi à une pure réussite. C'était l'éloignement du ceinturon parental (là encore, je tiens à préciser que dans les faits mes parents n'ont rien des brutes préfigurées ici par goût du pathétique) et surtout l'assurance de ne pas avoir à faire celui qui s'en moque de rater cette partie de sa vie devant mes condisciples guettant chacun de mes échecs pour y voir un sourire assurément très cool à défaut d'une larme assurément plus juste.

Mercredi fut ignoble.

Jeudi releva le niveau mais pas jusqu'à la fin. Dans le sens où sortant de la cantine où j'eus la chance de dévorer un steak de veau savamment préparée par une femme au tablier jauni par la compote de pommes et l'oignon frit des restrictions budgétaires évidemment de mise dans ces établissements, et tandis que je m'apprêtais à faire ma sieste hebdomadaire en cours de physique-chimie en profitant de la fouisseuse vue de mon bon professeur, une étrange moiteur, accompagnée d'une forte odeur, saisit toute ma cuisse. J'eus à peine le temps de faire le rapprochement avec le pansement que j'avais oublié de changer la veille que déjà une goutte, d'une lourdeur de crachat, coulait contre ma jambe en dégageant un musc d'épuration ethnique. Craignant que ne monte aux narines de mes voisins...enfin, véritablement, de mes voisines, cet écoeurant bouquet, je demandais avec hâte et main levée au fonctionnaire amblyope enveloppé dans sa blouse trop grande l'autorisation d'aller directos aux toilettes. Ce dernier, non sans faire montre du sadisme inhérent aux gens de sa profession par ailleurs formidable, me répondit en décochant son index en direction de l'horloge murale qui annonçait 14h48. Puis, il reprit son cours, certain que j'avais compris que ma vessie n'était sûrement pas à douze minutes près. Et c'était vrai, seulement, ma cuisse elle, n'avait même pas pour elle une seconde, puisqu'elle continuait de couler, dangereusement et d'empuanter mon bureau à la façon d'une blatte écrasée comme un fruit sur le degré râpeux d'un escalier de tour, avec le ventre fendu et tout à fait luisant, noire parodie d'un litchi répandant vertement l'outrageante senteur qu'à l'insecte vaincue et dont les oeufs éclosent dans une étincelle de sang, elle-même odoriférante et gravement mortifère.

J'essayais tant bien que mal de balayer le liquide à l'aide de mes chaussures et de me convaincre que j'étais le seul, parce qu'y consacrant toute mon attention, à flairer cette horreur...mais bientôt Théodore, mon voisin de droite bien qu'il eut davantage les idées de la gauche, ne put s'empêcher de se boucher le nez en me lançant un : "T'es allé le chercher loin celui-là mon salaud !"
Je fis semblant de rire tout en sachant qu'une sueur angoissée venait de poser sa serviette sur la plage de mon front où pique-niquaient parfois quelques boutons d'acné.

Il fallait impérativement que je trouve un moyen d'évacuer cette pièce à défaut de l'odeur et c'est là qu'une idée magnifique effleura mon esprit ! Je pris mon compas, et, d'un geste que les plus grands javelotistes auraient pu applaudir si j'avais été filmé à ce moment précis, je l'envoyais dans la direction de mon professeur faisant face au tableau. A mon extraordinaire stupéfaction, l'objet venant de fuir ma main, après avoir décrit dans l'air deux cercles successifs, se plantant froidement dans le dos du passeur de savoir atteint de biglerie. Sur quoi le professeur, se tordant de douleur, visiblement touché à un nerf ou à quelque autre canal nécessaire à la vie, poussa un cri mignon avant de s'effondrer et de laisser sur place, rien d'autre que sa blouse et ses feutres élus, telle une meringue humaine pailletée de chocolat. N'espérant pas une destinée à ce point ambitieuse à mon jet d'ustensile, je crachais néanmoins pas dessus et me dépêchait de rejoindre les toilettes sous les vivas d'un public exalté par mon assassinat. Un peu de désinfectant et un pansement plus tard, j'assistais à l'enterrement du professeur durant lequel me fut remis la médaille des Arts et des Lettres ainsi que les Clefs de la ville. De plus, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir une fois de retour chez moi, dans mon garage, un magnifique coupé sport cachotant dans son ventre la puissance moteur des longues caravanes que les bédouins déploient pour survivre au désert quand son tambour bat !

Vendredi, je fus réveillé par la musique infinie des machines. Et par celle similaire des larmes de ma mère. Mon cauchemar avait commencé en même temps que mon rêve et son réveil était apparemment cruel. Pourtant, je me sentais bien, j'avais certes un peu mal à la tête mais rien physiquement ne semblait déconner. Alors pourquoi ma mère ne pouvait s'empêcher de pleurer ? Ses larmes sur le sol me ramenèrent en classe de physique-chimie, quand je me débattais pour ne pas qu'on ne voit ni ne sente les extraits de ma cuisse. Que s'était-il passé ensuite ? Je n'avais pas pu décemment assassiner mon professeur alors j'imagine que quelque chose de différent s'était passé, peut-être m'étais-je évanoui à cause de l'odeur ou bien qu'il y avait eu...sans que je fasse gaffe, une catastrophe d'ordre naturelle, un ouragan, un coup de foudre, m'ayant laissé sur les rotules avec des souvenirs troubles.


Si c'était un coup de foudre, peut-être avais-je reçu par la même des pouvoirs et peut-être que de ce début de drame naîtrait une légende ! Non, ce n'était pas sûrement pas ça. Mais alors, quoi, maman, quoi ? Quoi ?

"Mon fils...pourquoi n'as-tu rien dit pourquoi ? Ils ont été obligé de...si tu l'avais dit, ne serait-ce qu'un jour plus tôt...ils auraient pu faire autrement, ils auraient pu la sauver. Mais là, c'était trop tard, mon fils, c'était trop tard, je suis tellement désolée...Si seulement tu en avais parlé !"

Mon cerveau, en vicieux chef d'orchestre d'inégalés malaises, à l'écoute de ces mots traversés par les larmes descendues par ma mère, me coiffa d'un seul coup d'un bonnet de sueurs sur lequel tenait un étrange compte à rebours. Ce compte à rebours était d'une rapidité de connexion nerveuse et je compris tout de suite qu'il dévalait la sente me séparant de l'évanouissement. Sachant cela, je fis tout mon possible pour comprendre sans comprendre la réalité de ma situation. Pour recoller les pièces du puzzle tout en me refusant toujours à aller chercher la dernière pièce que je savais cachée en-dessous du canapé. Tout comme je savais, car j'avais toujours su, qu'un jour mon penchant pour le robinet qu'on laisse sangloter parce qu'il fonctionne encore et par flemme du plombier, me jouerait un sale tour. Mais ce n'était pas possible, je veux dire, ce n'était qu'une simple piqûre de moustique et je m'étais arrangé pour la soigner, certes, ma cuisse avait grossi et le tout était noir mais tout de même non, c'est une mauvaise blague. Si ma mère pleure, c'est qu'elle a toujours été une grande émotive, elle a simplement flippé de savoir que je m'étais évanoui en classe, d'autant qu'en ce moment, elle et moi, c'est pas la joie et je suis sûr que ça la tuerait de me perdre sans que ce soit rapprochés l'un et l'autre. Et donc le truc, c'est qu'ils m'ont remis un nouveau pansement et que bon voilà, faut que je fasse gaffe la prochaine fois, certaines piqûres sont très dangereuses. Et la semaine prochaine, retour à l'école, avec tous mes copains contents de me revoir et moi pouvant jouir du statut du joli survivant ! A moi les gens qui me plaignent...si tant est que l'odeur que j'ai laissé là-bas ne fut pas trop captée par la gent féminine ! Mais dans ce cas, tout de même, pourquoi avoir dit ça :

"Ils auraient pu la sauver."

Qu'auraient-ils pu sauver ? Cette question coupa le fil bleu de ma bombe et mon compte à rebours avant évanouissement s'accéléra dramatiquement. Ma main gauche, redoutant cette phase de coma, eut l'envie fantastique de soulever le drap qui recouvrait mes jambes.

Ma mère de dire "Nooon..."

Et moi de m'évanouir.

Ce n'est que le dimanche, jour du Seigneur, que je fis face à ce qu'il y avait en effet sous ce drap.
Ce n'est que le dimanche, jour du Seigneur, que je fis face à ce qu'il n'y avait pas.
Ma jambe gauche, toute ma précieuse jambe gauche, avait été amputée pour me sauver la vie.
Pourtant, ma mère avait bien dit : "Ils auraient pu la sauver" et en effet, ils avaient échoué.
J'étais vivant mais mort, adolescent marchant sur une seule jambe déjà que n'ayant pas tout le reste à l'avenant.
La faute à une piqûre, non de moustique mais d'araignée, de ces araignées qui n'existent que dans les faits divers et que l'on nomme "recluses".
Son venin, dispositif d'une belle malignité, en plus de nécroser toute la zone mordue a la particularité d'endormir la chair tout autour et donc d'offrir à sa victime une mort apaisée.
Voilà pourquoi je n'avais rien senti jusqu'à l'explosion consécutive à un mauvaise frottement, du bubon revenu.
Voilà pourquoi je ne sentais plus rien, sinon du souvenir, au niveau de ma jambe disparue.

Enfin, je sentais.
Mais pas comme ces amputés sortis des fours des froids conflits armés et qui gardent en mémoire, malgré le vide couvert par leur avant-bras droit, tous les réflexes de leurs doigts.
Non, moi, vraiment, je sentais ma jambe. En ceci qu'au lieu de reproduire les gestuelles perdues, mon cerveau reprisait les exacts parfums de mon membre arraché.

Ma jambe avait une odeur d'arbre retourné par la foudre, de pluie sanguine et grasse, et toujours de cadavre, soit d'avenir, soit de cafard.
Ma jambe...avait l'odeur du regret et de la chair qui se putréfie dans un profond silence, sans personne autour pour s'en inquiéter, et d'une mère en larmes, après coup, pour son fils blessé.
Ma jambe, qui sut fouler tant d'herbes, frôler tant d'autres jambes parfois nues et superbes, avait l'odeur d'une vie sans ligne d'arrivée.
D'une vie, désormais, handicapée.
D'une vie recluse, à cause d'une araignée.

*

(Mais ma jambe avait aussi l'odeur
De la cachette des diamants recherchés
Et du vaccin pour le cancer du sein.
Ma jambe avait l'odeur de l'univers
Perdu, tout comme moi,
Disparu mais debout
Parce qu'enfin la vengeance sera bientôt mon pied
Mon tibia, mon genou...
Ma béquille et ma loi.)

Il avait le pouvoir de sentir tout ce qui était perdu...


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