mardi 30 mai 2017

Hangwoman. Chapitre 2*

Celoso, le desservant et la plante miracle


Certains poisons ressemblent trait pour trait aux formules enchanteresses distribuées au Vietnam pour aider les soldats, américains et locaux, à ne pas céder au pire...

Après tout, quelles sont les différences, du point de vue du vice, entre un aphrodisiaque et un antidépresseur ? Dans les deux cas, le manteau déjà fort déchiré de la boîte crânienne fait face à une transformation, violente, du sang et de ses impulsions et ces drogues plongent l'ingérant dans une réalité bâtie sur des vacillements. De ces vacillements qui font de la flamme a priori vaillante de l'âme humaine, un bec de gaz dont tous les efforts de combustion sont modifiés par un paramètre ignorant les vertus présentes à l'origine. Comme quand un autre agit sur nous en glissant dans nos mains, suite à une défaite, l'ombre d'un coutelas ou le cruel éclat d'un baiser impatient quand ce même autre, auréolé d'hormones et de fantasmes débridés, soumet à nos jeunes yeux des lèvres prodigieuses. Ainsi, l'amour peut se confondre aisément avec l'envie de meurtre, tout comme un délire d'une suave délicatesse peut n'être qu'une passerelle vers des heures de détresse et de nues prostrations.

Cette nuance en tête, d'une finesse de pore, d'une épaisseur de courant d'air, j'ai cherché dans mes livres et dans mes créations de racines nouvelles, à cultiver une plante offrant du même coup - tant qu'à défaire - et l'orgasme et la mort. Et, après des années de recherche et des décennies lourdes en déceptions, j'ai fini par trouver ma menthe terminale. Pour ce faire, je me suis intéressé aux différents cactides que seul le Mexique, pays fou par excellence, eut l'idée d'élever au sein de ces déserts. Et de ces plantes carnivores et hallucinatoires, brûlées et rendues imbéciles par un soleil de chaque instant, j'en ai tiré des copies, des reprises et des parodies que j'ai pris soin ensuite de croiser mille fois en opérant de même à l'aide de mon majeur disposé sur l'index.

Enfin, non sans échec qui me firent traîner près de ces magasins aux murs tous blancs où se vendent au rabais de fières camisoles, j'ai fini par obtenir mon idéal chardon au ventre pourri de perversion. Ceci fait, de mes mains vierges de tout contact humain car toute chair m'exaspère, je me suis amusé au péril de ma vie à la faire sécher, à la faire bouillir, à la faire cuire et à la modeler, en somme à l'essentialiser de telle sorte qu'elle puisse être consommée, innocemment, à la manière du thé.

N'ayant pas de testeur éventuel sous la main mais m'étant assuré de son efficacité auprès des chiens et des lézards faisant mon entourage, je demeurai monstrueusement curieux de son effet réel sur l'homo sapiens. Alors, faute de mieux, je suis allé à la messe...

Là-bas, profitant de l'homélie pénible que le prêtre exerçait sur ses fils de cordonniers qu'il appelait ses frères pour ne pas dire client, j'ai déposé une feuille de mon extrait macabre dans le calice borduré d'or qu'il réservait à ses égoïstes absorptions de la liqueur christique. Car ce prêtre aimait ça, que de vampiriser, en secret, le sucre alcoolisé tombé depuis la veine du maigrelet prophète. Tout comme il aimait, après avoir bu, recevoir dans l'isoloir telle ou telle de ses ouailles, cette fois-ci enfantines, pour leur poser des questions sur leurs mauvaises actions tout en jouissant du masque créé par le grillage pour se faire lui jouir.

Son habitude morte, je la savais, comme toutes les choses de ma vie, par expérience, du temps où j'étais écolier et que ce même prêtre, à la suite immédiate d'une de mes confessions, était sorti de son fourreau de bois faussement satiné afin d'apposer sa moite main pleine de doigts, sur mon épaule encore honteuse de sa sincérité. Or, ce matin-là, ses doigts sentaient exactement comme mes doigts sentirent l'unique fois où je fis la rencontre avec ce que tout le monde appelle le "plaisir". C'était une odeur de pain grillée oubliée trop longtemps ou bien de marinade destinée à fleurer, en quelque sorte, le poisson et qui en exsudait toutes les âcretés, chaudes et marécageuses.

Cette double expérience m'avait appris à détester la chair et toute idée de contact avec cette dernière ainsi qu'à n'avoir pour mon prêtre, que du ressentiment. Arrosant ensuite mon horreur juvénile à l'eau de mes études et de mes tentatives, fort longtemps infructueuse, dans la domaine de la verte alchimie, je ne pouvais finalement pas trouver meilleur partenaire de supplice que cet homme d'église.

La messe venait de finir. Ma feuille, tapissant le fond de son verre argenté, était presque invisible du fait de peu de jours passant dans les vitraux ainsi que dans les yeux, passablement vieillis, du misérable patriarche. Je partis de l'église dans un sautillement, en prenant garde à ne pas toucher au passage quelconque pénitent ravi de son voyage au ministère de la Tromperie et du Glorieux Néant.

La suite fut un enterrement, à peine trois jours plus tard. C'était drôle d'ailleurs d'y assister car il fallut dépêcher un prêtre d'une autre ville et que celui-ci, abasourdi par la nature, incroyable il est vrai, du cadavre retrouvé par l'enfant de choeur victime d'attouchements par grille interposée, ne pouvait s'empêcher de se signer toutes les trois minutes comme si Satan lui-même s'était juché sur tous les ornements où sévissaient, d'ordinaire, le Christ ensanglanté.

Il faut dire que ma plante, cactide copié à partir d'autres cactides et peut-être également de féroces pièges à loup *, ne fit pas dans le détail. A peine en effet le prêtre eut ressenti les joies paradoxales qu'éprouvent sûrement un homme quand il se masturbe en s'aidant de la voix d'un garçonnet qu'il jura de guider voire de protéger, que tout son corps, de la base du pénis jusqu'au sommet du crâne, fut broyé par cinq-cent convulsions. Le front se plissant au point de casser les courbes osseuses de la bombe frontale ; les joues se retournant si violemment au travers des mâchoires que toutes les dents en furent décrochées ; le cœur, ne sachant plus choisir entre l'irrigation forcenée et l'arrêt pur et simple, quittant son sommet thoracique et flanchant dans l'acide des flaques stomacales, les boyaux, désorganisés, se prenant pour des veines en débitant, sur leur passage, chaque bras et chaque jambe délivrèrent un corps à l'apparence éminemment florale, aux branches longues et mauves qui bavaient sur le sol comme le fait un pleureur.

La barbarie incluse dans la mise en scène catastrophique du corps ainsi désarticulé répondait avec un talent vertigineux pour la cruauté - inhérent aux choses de la Nature - à celle caressée par les vues pédophiles de ce maudit curé.

Seuls ses yeux avaient été épargnés par la bouillie de nerfs, d'os et d'articulations l'ayant sur le champ vitrifié.
Seuls ses yeux demeuraient intacts et permettaient de voir qu'il s'agissait en fin de compte d'un homme.
Seuls ses yeux - où passait un ravissement que Poussin certainement aurait aimé à peindre tandis que Bacon se serait occupé de peindre la partie inférieure pour un portrait complet - avaient su résister au pouvoir de ma plante.

Mais ses yeux étaient déjà de trop, et c'est pour ça qu'au soir de l'enterrement, je me remis au travail, auprès de mes nuances, de mes poisons et de mes aphrodisiaques, auprès du fil reliant l'amour au génocide, pour faire de mon cactide une création capable d'occire jusqu'aux yeux, ne laissant derrière lui qu'une belle église vide.


* que j'ai pris le loisir de nommer "Hache de Damoclès" par désir de symbole.

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