Y'en a des mômes en revanche qui ont jamais vu aucun des deux, pas le temps, pas la patience et puis pas le confort...alors que l'enfance, c'est ça : un confort, un long sofa de blessures au genou, de manèges et de poux mais pour certains, même les plus gris des carrousels sont des figures abstraites et les poux d'aimantes petites bêtes...moi, je sais qu'au soir on se marrera tous autour d'épaisses viandes rutilant dans l'assiette et qu'au lendemain matin, ce sera pintes de piscine, brassières autour des coudes et la grimace quand la main maternelle s'appliquera à gifler nos visages avec la crème solaire mais pour ces gosses, qui ne connaissent du sable que les galets qui heurtent aux pieds, y'aura sans cesse la sensation d'un manque à l'estomac puis dans cet autre organe, cerclé de veines fauves, qu'on appelle le coeur. Je sais qu'ils auront peur, non pas des ombres théoriques cachées sous le matelas mais des ténèbres vraies hantant les crânes de ceux se chauffant à l'effroi. Ce seront des histoires de routes terminées avant même le début des chemins et de parents violents, hurlant à leurs oreilles comme des passages de train.
J'ai de la compassion pour ces sinistrés-là, s'endormant sous des tentes ou derrière des fenêtres d'une finesse de chas. Dire le contraire serait mentir, comme de dire que naître blanc n'avantage pas un peu au moment d'exister, de se concevoir des peurs et des idéaux de futur libéré, et j'ai du grand chagrin pour ces petites vies d'esclave envisageant la joie sur le fil, nécessairement noir, de leurs plaies à grands cris refermées.
Quand tu te dis que t'es chanceux parce que tu cicatrices et que tu survis au rhume, dans les couloirs de ces métros où pressé pire qu'agrume, ton goût pour l'ambition prend des airs de textile sachant enfin, te tenir chaud. Quand ce qui te tient chaud, ce n'est ni l'amour, ni les vacances d'été mais bien la petite monnaie des touristes stressés...c'est que t'ignores tout des chaleurs fantastiques et des fièvres sensas qu'octroient la République aux marmots qu'elle embrasse.
Elle va revenir, la fièvre et la mère prophète ayant vu chez son fils l'éclat de la comète, quand celle-ci échoue, à deux pas de la mer où elle n'entrera pas, parce que le goût du sel n'est pas une tentation du fait que le sucre est ordinaire à la maison, et qu'il s'accompagne de lactés chocolats, de miel et de pains d'horizon. Quand la lune projette sur nous son masque souriant, et non pas la crainte qu'elle s'éteigne, parce qu'il fait déjà noir sous la lampe et deux kilomètres encore nous séparent des côtes...Tandis que nos côtes à nous, en contrebas, sont visibles à l'oeil nu et qu'elles forment une armure de misère cossue où perlent sans forcer les graines du mauvais...
Je suis là, à vingt minutes à peine de mes parents et de leur frousse, tandis que d'autres sont ailleurs, sans personne autour d'eux sinon la frousse elle-même, et la dispute que mène tous ces ventres contre ces champs de blattes que tout le vide sème...Paysage d'insectes qu'on se réserve pour le dîner, plâtrées de cafards à la crème et verres à ras-bords du jus des araignées pour faire passer l'ensemble...Et l'ensemble qui ressemble à ce qu'on va dégueuler [...] alors que nos cirques, à nous les pauvres, sont les enterrements avec le croque-mort dans le rôle du clown blanc.
Moi, j'y pense, à tous ces enfants, perdus pour de vrai et pas pour l'anecdote, qui se noient chaque jour, cailloux dans une Botte qu'ils ne verront jamais car l'Italie est loin pour qui ne sait pas nager.
Moi, je sais nager, parce que mon père m'a appris et parce que la lune peut me servir de phare en cas de grand danger, mais ces morpions-là n'ont coulé aucune brasse, excepté dans le sang...rubescente terrasse qu'est le sexe asphyxié de leurs vies privées, des goûters et des grâces...De manger à sa faim et puis de ne pas boire jusqu'à ce que ça se termine mal...Pour nous et pour notre âge, menacé animal traqué par le grillage de frontières sauvages...Où les camions s'accumulent, de même que leurs cabines d'essayage du viol sous tous ces angles et particules...Y'a pas trop de mer, je vous jure, pour ces nourrissons, hors de celle qu'il faut boire en attendant la fuite de l'un de nos poumons.
Moi, mes poumons sont des cerfs-volants, des majestés de toile que le vent fait danser à mesure que je cours, mais pour eux, les poumons sont des clopes fumées entre deux cours...Et des conseils de discipline, et des internats et des renvois, gastriques et administratifs jusqu'à ce que, renvoyés de partout, ils rebondissent en prison ou dans le fond d'une mine.
Là où la lune ne passe pas même en plissant les yeux, là où maman, toute Eurydice de son état, se refuse d'aller par peur qu'Orphée la voit...Là où on ne revient pas, ni elle ni lui ni toi.
Sur la plage, tous les garçons se ressemblent
Excepté que certains attendent
Alors que d'autres, immobiles, sont déjà morts de froid
Sous ce ciel d'été comme au mois de décembre,
(Comme quoi, tous ne reviennent pas
Et comme je fus chanceux d'être un enfant
Avant que d'être un homme
Enterré dans un bois
Et dont le cor difforme
Chantonne la musique des mômes n'en ayant pas
Autrement que sous vide, et sans la voix
Des amours limpides
Que sont la lune et l'eau ouvertes devant soi
Comme des livres de choix
Et non des couvertures dont le dessin déçoit
Tant qu'on les jette au feu
Ou bien au Pôle Emploi
Dont l'aurore boréale est l'horreur du Je
Quand il joue sans un toit
Et sans pouvoir compter
Jusqu'à deux
Les Pourquoi.)
Félix Vallotton - La Mer |
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