mercredi 11 octobre 2017

La théorie du voisin idéal

Considérons les lasagnes que j'ai à la place du cerveau comme les bases de ma pensée future.
Et intéressons-nous aux étés s'embourbant dans les mares de ma petite province, où tout est merveilleusement gris, des toitures aux arbres. Et courons par ces mares, comme font des quantités d'enfants quand ils se rêvent crapauds et qu'ils crapahutent, suant au passage toute l'huile de leur jeunesse en train de s'exiler, sous l’œil masturbé des roseaux. Par ces mares aussi, constatons le voisinage terrible qu'opèrent entre eux les mots au sein des dictionnaires, suburbanités de clones et d'obscurs tératomes s'étalant dans l'infinité de pages couvées par les yeux vides d'un chercheur solaire. Idem en ces plateaux trempés de boue, voyons outre la vase ce qu'il se passe derrière ces mots, une fois qu'ils ont quitté leur banlieue pour rejoindre le génie communiste du parler français, et voyons l'échouement, façon beurre blanc sous flamme, de ces nouveaux élèves - pourtant soignés des pieds jusqu'au phonème - devant le tribunal et puis l'Institution. Observons-les depuis ces îlots meubles que la pluie fait pour nous, tous ces étés en devenir contraints de courber l'échine en face de la cane acajou d'un pluridisciplinaire académicien certainement doté d'innombrables diplômes conquis de par le monde et sous le front jauni d'une assemblée marquante de néons issue de l'ingénierie verte des architectes en charge d'ériger Centres Documentaires et Saintes Bibliothèques. Captons le dos lardé de corrections de nos chers mots vaincus, battus à plates soudures par le chalumeau fol des archidiacres, cachés dans l'ombre mais en dépassant de partout, s'étant attribués le rôle d'écrire pour la France en toutes ces métropoles, notre vocabulaire passé, présent, comme futur.

Sachons nous rendre au champ d'honneur - en cet hangar sans affection éclairé au bougeoir - pour pleurer à genoux nos frères disparus, alors même que si peu vivants déjà, et grandement estropiés par la manufacture des langues ambitieuses. Et lisons dans nos larmes ces "chèvreschoux", ces "potentats" et ces "muycylique" désormais loin de nous. Encore que les "potentats" demeurent everywhere mais qu'on s'est arrangés pour faire semblant de les oublier, pour les dissoudre, les effervescer afin qu'ils passent mieux dans ce médical médicament qu'est la réalité.

Encore que, la réalité, tout de même, c'est un concept qui nous échappe beaucoup pour pas dire plus. Nous parlions des mares et des boueux enfantillages qui pouvaient s'y produire, entre deux consultations des archives de notre intelligence (les mots sont l'intelligence), mais la réalité, ce n'est pas même une mare. C'est tellement plus soluble ! C'est pas un potentat, pas une mare, pas autre chose d'éventuellement tamisable, la réalité...c'est.

Mettons par exemple qu'on s'attache, pour définir la réalité, à un personnage de fiction. Que celui-ci s'appelle Etienne Mardona et qu'il exerce, en qualité de professeur des écoles, dans la petite ville...réelle mais de fiction...d'Autreville, et donc non loin de Breuil-le-Sec et de la rue de la Soie. Et mettons que cet Etienne, non content que de recevoir mensuellement de l'argent en distribuant de désagréables souvenirs auprès de ces étudiants, se soit fait fort de se marier, par amour, avec Laetitia L., fille qui au-delà de son nom simplissime a pour particularité d'avoir de beaux seins lourds sous lesquels dorment trois précieux grains de beauté...comme dans le conte de la princesse aux petits pois, enfin, à peu de choses près. Et mettons que ces deux-là, maritalement liés, n'en ait pas fini avec la filiation et se soient sentis dignes de toucher au miracle et à l'engendrement. Et donc, quelques mois et vomissures plus tard, Etienne et Laetitia annoncent à tout leur entourage que ça y est, ils sont parents et que c'est là, la plus belle chose au monde (la plus belle chose au monde est l'intelligence). Et derrière ça rigole, ça boit de longs verres de vin achetés dix jours plus tôt dans la grisaille d'un supermarché, ça prend dès que possible l'enfant de ces mariés dans les bras...sans faire attention, sans se demander s'il on en a la force ou la légitimité, que de porter pareille apparition, nécessairement divine, dans le cadre de son coude résolument immonde n'ayant jamais servi à rien qu'à soulever un peu de terre...Et l'enfant, parce qu'intégralement fabuleux, alors que trimbalé par ces hordes de débiles profonds, aura pour tous un rire ou un chagrin...Et son rire frappera si durement le coeur de ceux qui l'entendront que ces derniers, réincrustés dans leurs voitures, sur le chemin du retour, estimeront avoir passé une jolie journée.

Mettons que l'enfant malheureusement grandisse et qu'il se prenne de passion, sans aucune aide publicitaire, pour les constellations. Et que ces parents ne comprennent pas d'où tel courant lui vient mais qu'ils acceptent, à condition de plusieurs quinze sur vingt, de lui offrir un télescope. Et que son oeil, allongé par la lunette, balaie every night le ciel et ses poussières. Et que l'enfant, dramatiquement devenu l'adolescent, se crée des mondes sur ces planètes qu'il caresse du regard.

Et bien, où est la réalité dans tout cela ? Ou plutôt, où existe-t-elle davantage ? Sur cette Terre fictive où un enfant, atteint de vieillesse, niche son oeil dans une lunette ? Ou bien derrière l'oeil, sur ces planètes qu'ils inventent et où fourmillent sans doute mille vies différentes ?

Pour répondre à cette question, mettons maintenant qu'Etienne, honnête mari et père capable, soit du genre à pourchasser jeunes filles aux heures de petite écoute. Mettons vraiment que ce soit de ce genre d'humains normaux qui violent d'autres humains évidemment plus jeunes. Mettons ces jambes, virgules coincées dans un pantalon de mauvais velours que les professeurs s'échangent, de générations en générations, et son sexe, pointe d'exclamation destinée à écraser silence.
Mettons cette situation où, parce qu'Etienne poursuit jeune fille, on en arrive là, en termes de ponctuation, dans la rue d'Autreville :

...!

Mettons qu'il fasse cela et que personne ne dise rien, et que Laetitia continue d'embrasser les criminelles joues de son mari tandis qu'à sa fenêtre, l'enfant mûrissant, passe d'étoile en étoile.

Dans cette situation, où est la réalité ? Dans le silence ? Dans l'exclamation ? Dans le mensonge ? Ou bien rangée, solidement, dans le pantalon...?

Mettons que dix années plus tard, l'enfant, désormais plus ou moins mort en tant qu'enfant, toujours à sa fenêtre mais cette fois une fenêtre plus grande, sorte de baie vitrée, continue de scruter le ciel galactique. Et que, parce que sa lunette est à présent d'une sophistication d'opéra polonais, il puisse voir en détails sous la jupe des étoiles. Et qu'il voit...certes, il doit vérifier, faire des tests, mécroire puis croire et s'assurer...sous la jupe de celles-ci, une longue tache de sang. Et qu'il comprend, étoile après étoile, tache de sang après tache de sang, ce qu'est son père vraiment.

Et qu'il revoit son lit
Et la première étoile
Minuscule
D'une taille de dent
Là, sur son drap
Et comme il avait mal
Et comme mal il aura.

Chaque année et chaque jour, des mots, des enfants et des jeunes filles meurent de la main de l'homme. Telle est la réalité. Nos étoiles cachent des âmes que des hommes ont violées, des âmes venues de réfugier sous la lampe amicale de la Nuit sans passé, cette Nuit idéale ayant pour tout voisin la possibilité.

("Impossible...!" diront les journaux, les amis et les proches. "C'était un homme si gentil, si propre sur lui, il nous invitait souvent et il était très drôle", "Il était un peu taciturne certes mais il disait toujours bonjour", "Il s'engueulait parfois avec sa femme mais rien de trop grave"...Les journaux, les amis et les proches ne savent pas voir les étoiles. Et s'ils les voient, c'est toujours avec du retard, et des cadavres sur les bras. Telle est la réalité, tel est pourquoi, souvent,
Souvent, je n'en veux pas.)

à tes yeux chèvrechoux, 
à ton coeur muycyclique
et à ton art, mon potentat 
Alfons Mucha - Illustration Noël 96

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