Si j'étais fatigué, l’œil vide et les paumes harcelées de moiteurs, c'était dû sûrement au manque de sommeil. Et si je dormais mal, c'était à cause du bruit, de sa perpétuité dès lors qu'une ville vit et qu'on ne peut s'isoler grâce au double-vitrage. Je prenais tout d'emblée : cris, tristesses, ivresses et dérapages. En temps normal, c'est-à-dire avant, j'arrivais à faire fi d'un tel remue-ménage...
Mais tu m'as habitué comme qui dirait au calme. De par ta peau, abri phonique pour le moins impeccable. De par aussi ta voix qui forçait via ses charmes la venue d'un silence... enfin pas d'un silence mais d'une tendre musique en provenance des arbres : pépiements,
mouvements des feuilles qui se détachent
parce qu'une fleur s'y fabrique
ou des fruits les remplacent.
J'avais pris l'habitude de ton sucre entourage, quand bien même, si j'avais jeté l'oreille hors de cet apanage, j'aurais saisi pareil les bruyants abattages éclatant des carrières que la cité ouvrage. Les marteaux, les autos, les badauds, les vacarmes, tout ce méli-mélo de misères et dos-d'âne. Mais j'avais heureusement l'oreille déjà prise, et par ton opéra, miniature mais réel comme mer dans coquillage, et par certains baisers qu'entre deux tours de chant tu m'adressais en nage. C'étaient ça des bouquets, comme si non contentes d'illuminer la scène, tu faisais le public au moment du final quand celui-ci se lève et s'allège de pétales. C'était, un roman de poèmes, anthologie de courts-métrages, que de t'avoir parmi ma pièce, alors hôtel, villa, palace, Versailles dont mille fontaines berçaient la pierre lâche.
Car oui l'amollissement s'étendait jusqu'aux marbres, jusqu'à l'âpre ciment censé avoir pris place au-dedans de mon âme. Je fondais sous ton art, glace d'enfant renversée que beau temps accapare, la transformant d'une boule, savoureuse mais contrainte d'être vite avalée, en un disque durable, une rose, un miroir, aquarelle que les chiens goûteront tout d'abord avec hésitation avant que d'y plonger la langue jusqu'au fond. Et de là ce bestiaire, efflanqué, dérisoire, deviendra une meute capable de faire fuir les chasseurs de l'histoire.
Tu avais ce don-là d'adouber, de rouler dans l'étoile le ciel le plus noir afin qu'il puisse, aidé de ce haut-phare, guider les percées barques en dehors de ces rocs qui les croquent en épaves. Tu savais inverser le dessein quand maussade, rassurer d'un refrain, d'un mot, d'une sérénade histoire que le Tessin s'insinue dans les rades et qu'ainsi revêtu de ce plein paysage, le cœur souvent malade des hommes de ce monde, passe du sale au sage, et du toussant, permanent salopard, à ces agneaux touchant couchant dans la blonde paille.
T'étais miracle ! Et c'est pourquoi, maintenant qu'acté paraissait ton départ, je ne dormais que d'un œil écrasé par les larmes. Et c'est pourquoi, je frissonnais d'angoisse, j'avais chaud, j'avais soif, et comme, des visages de sueurs enfoncés dans les pognes. Et c'est pourquoi, étant monté aux branches de tes bronches mariales, je tombais dans les pommes sans l'ombre d'une idole, rien que compotes et baves.
Et du bruit à n'en plus finir, à s'en embrocher le pavillon, à se le détruire à l'aiguille, à l'ongle, à tout ce qui peut blesser ce conduit dégueulasse ! Pour ne plus rien entendre ton souvenir sinon...
Quand tu étais chez moi
Que j'étais à ma place
Et qu'il n'y avait qu'à rire
A la barbe du Mal
Inoffensif ici
Auprès de ton Image
Soit dans ce lit de lieds
Et de vives aubades
Que celle-ci composait
En à peine une parole
Complaintes se taisaient
Devant la barcarolle,
Ballade de baisers,
Chorale d'auréoles...
T'étais ce que j'étais quand ma vie était folle
A raison
De t'aimer
Malgré la clef au sol
Et porte de beauté
Fermée
Condamnée
Infiniment ignoble
Désormais que c'est seul
Que je pense aux saisons
A la ronde
Aux accords
De ta main
Qui chuchote
Emporte l'adhésion,
Cependant qu'elle dénote
Dans mon teint
Un frisson...
C'était la peur d'échouer en dehors du son
En dehors du blé
Musicien bondissant
Au rythme du vent frais,
C'était la peur de l'abandon
De ne plus être en mesure
De transi t'écouter
Jusqu'à l'exténuation.
...
Je l'avais tellement cette peur
Au corps enchevillée
Qu'elle avait tout fini par me désaccorder
Déjà quand t'étais là
Voix à forte portée.
Alors maintenant qu'ailleurs (pâle écho de murmure, ruine à nouveau ruinée)
J'entends encore moins rien
Du précédent bonheur.
Mais les voitures, elles,
Et les bruits claquants des fenêtres qu'on ferme,
La tonitruance de l'isolement,
En somme, le Nibelung de la défaite (en un seul set et sans entracte)
Je le captais parfaitement !
...
Sourd amour désormais
J'imaginais revoir
Le contour d'un sonnet
Ecrit grâce à ta lèvre,
Tombé de ton espoir.
C'était peine perdue s'entend
Car cent ans nous séparent
Depuis que j'ai pris part
Au brouillard du printemps
Que cache toute histoire
Depuis que j'ai bâillonné
L'idéal
De mon suintant mouchoir
A cause d'une peur idiote
Une jalousie du noir
Face au blanc de la note
Comme si la lenteur, la langueur, le confort
Risquait en quelque sorte
De rétrécir l'ampleur ancienne de mes forces
En gros que m'affaiblissent
Oaristys et noces.
Je le sais c'est débile
Comme il était débile
De débilement craindre
Tandis que tu chantais
L'instant de l'extinction de cette sérénité,
Mais je n'ai jamais dit briller d'intelligence
Tout du moins il me semble.
Et si jamais c'est le cas
Je n'aurais fait que feindre
Une qualité sans bras, un génie sans étreinte.
Car je suis inutile comme les bruits alentours.
Les gosses peuvent bien danser
Et les bagnoles aller à la vitesse du jour
Et les outils construire
Des serres où se masseront des masses jasminées
Aux parfums de griseries à la fois vifs et lourds
Ils sont tous inutiles autant que mon reflet
Qui
En silence
Et en sang
En entier dégouline
Contre cet évier blanc
Imitant ta poitrine.
En ceci qu'il est froid
Mais que ma tête humide
Doucement le réchauffe.
En ceci qu'il boit, qu'il évide
Tout ce que j'ai en trop.
Dorothea Tanning - Jardin Secret |
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