Je déplaçai donc ma solitude ce matin de juillet où montant dans un train dont les mouvements humains (retrouvailles et séparations) me donnèrent immédiatement une franche envie de vomir, je ne pus qu'en descendre le teint pâle comme un linge. Étais-je vraiment malade ? Atteint d'une incurable défloration, d'un grave désherbement ? Moi-même je l'ignorai. Certes, il y avait quasiment une saison maintenant que mes émotions m'apparaissaient meurtries, dégradées, asséchées du vin fauve de l'enthousiasme et de la construction, mais j'avais depuis si longtemps déjà flirté avec cette apathique position, avec tel malheureux coudoiement quotidien qu'à présent celui ne m'étonnait plus ni ne me dégoûtait. C'était comme ça, comme on se fait d'un panaris, d'un orgelet, d'un deuil, d'un romantique chagrin. Nous sommes à vrai dire toutes et tous composés de cette façon-là : en résistant des maux divers, en blessé etc., en bref en compagnie d'infortune, qu'elle soit physique, mentale, ou d'un genre moins tangible. Mon cas différa seulement parce que j'avais explosé quelques soirs plus tôt et que ma déflagration contraria l'idéal faux-semblant de ma sphère parisienne mais je mettrais volontiers mes deux mains à couper que si quelque Saint-Pierre, un jour, s'éprenait du loisir d'interroger, scalpel en paume, les plaies secrètes de chacun de mes proches, ceux-ci céderaient tous à furie similaire après une ou deux questions bien tournées par l'Altesse. Je mettrai même tout mon cœur en pari qu'au-delà de mes amis, tous et tout le monde ici, en face d'un pareil purgatoire, craqueraient sur le champ et fileraient à leur tour se ressourcer aux tulipes...
Nous sommes les survivants d'une infinité de désagréments enjambés vaille que vaille, qu'on s'imagine anodins, secondaires et légers mais qui en fin de compte langent un lit de punaises qui ne demandent qu'à nous mordre. Selon quoi et s'il on veut guérir (mais le veut-on seulement ?), il faudrait avoir la modestie de montrer ses morsures voire le courage - miraculeux ! - d'oser changer de matelas...
J'avais, pour mon week-end, réfléchi à une poignée d'activités supposément heureuses et rassurantes. Dès la porte franchi du premier musée cependant, je compris que mon agitation n'était pas de ce genre qui se règle par la promenade ou la contemplation. Je n'en sortis pas du musée pour autant mais pour ne pas mentir, je confesse que chaque tableau vu ce samedi-là me tomba sous les yeux comme une très nette représentation du dénuement et de la fatalité. Pire, car si la Mort dirige l'Art depuis la Nuit des Temps, cette fois-ci elle se surpassait car elle semblait l'avoir, l'Art, totalement digéré. Et c'était ce gargouillis, cet entrelacement de contentes viscères, que je voyais battre dans la toile...
L'intestin frissonnait de la joie du Roi vieux grossi par la potée : la pomme de terre, le lard, la sauce et les jus de viande, tous pressés jaillissant dans un réseau de couleurs roses...et grasses, derrière la peinture et dessous les tenants, techniquement banales, d'un Nicolas Poussin. Pareil pour les espagnols ou les argentins, les Nabis ou les suisses, la congestion pulsait et s'entendait bien au-delà du pigment. Vomir encore mais où ?
J'avisai une gardienne de mon incontinence, elle me désignait des toilettes situées un étage plus haut. Moi je voulais descendre ! Alors...insigne éclaboussé et...disons que je ne retournerai plus dans ce haut lieu non plus, par pudeur et par honte.
Revenu dans la rue, chassée par un ciel chaud comme un four pâtissier, traquée par l'affreuse nue, brûlante mais pas comme un printemps, plutôt comme une fièvre ou une douche quand on souhaite la baisser. Revenu dans la rue, pistée, hameçonnée par les nuages et les grands aplats bleus, je fus contraint - réflexe de survie - de la quitter très vite et d'entrer dans un bar quelconque. Là-bas j'y consommai un œuf, enfin...une omelette et une grappe de raisins. Qu'étrangement ils proposent ce romain mets m'enchanta d'une excentricité qui simula l'effet d'un retour à la normale. Et si tout ne dépendait pas finalement de si peu que d'une grappe de raisins dans un bar d'Amsterdam ?
J'étais en larmes une minute plus tard, ça sala mon omelette, je l'avalai en deux bouchées, je payai et la rue me revint, continûment traquée, fliquée et très bientôt tasée.
L'orage ne dura pas, ceci étant, les microscopiques fraîcheurs qu'il raviva m'excitèrent là encore le moral. Peut-être était-ce ce mois de juillet, de fait, qui ne convenait pas ? Trop chaud, trop le textile sur la peau sans arrêt, trop les paupières gouttantes et d'odeurs sous les bras. Peut-être était-ce ce mois sa faute et pas la mienne ou du moins pas tant celle d'une fatigue nerveuse sévèrement installée et dégénérescente. Crachant par terre alors que je détestais ça, je me mis ensuite en quête d'un hôtel, m'appuyant sur les quelques adresses que l'on m'avait laissé.
Je ne vis jamais un hall et m'engouffrai plutôt, tandis que l'été soir se transformait en une ignoble bouillie grisâtre au goût relevé par d'étranges grumeaux noirs, dans le quartier des prostituées. Ce festival de jeunes enfants, nues et moquées hagard par des touristes trop proches de leur confort pour envisager de se joindre, autrement que pour la blague, à ces galeries de forcés gémissements, me provoqua au corps un réveil tertiaire. Et si le sexe me sauvait ?
N'ayant de sous que pour une passe si je voulais garder de quoi payer l'auberge, je suivis sans comprendre l'invitation scabreuse d'une vingtenaire au cabossé profil. Elle était belle comme de la tourbe, comme un morceau de mur duquel on aurait fait, en ces heures médiévales où la torture avait la cote, un pour sûr envoûtant cercueil vertical.
Nous nous allongeâmes, elle passa sur mon membre gonflé par politesse, un avatar d'eau froide, puis, une derme nouvelle, plastique et lubrifiée. Elle harnacha ses hanches sur mes côtes en pagaille, et, sans ressentir davantage qu'au cours de ces dernières semaines, elle maltraita malgré tout si bien mes intentions que je finis par être entièrement en elle. Après quoi l'unisson, fébrile, fiévreuse, fielleuse, fétide, flapie - comme l'aquarelle d'une cousine sans talent - prit des airs plus charmants au point que j'en eus presque l'agréable impression de faire l'amour avec quelqu'un.
L'amour ! C'était cela que ma disparition. L'amour ! Le chantage obsédant d'une paire d'âmes qui se consacrent au troc païen des ambitions, espérant par la chair que cette perfidie accouche d'une rédemption ainsi que d'un moyen, efficace et gratuit, de toucher aux onguents refermant les lésions...de réaliser ses rêves...d'éloigner le bas-fond en l'empoignant de plus belle !
Orgasmant mécanique dans un fantasme que cette jeune femme, de par son expertise, avait su ranimer, je me réjouis tout de suite en pensant au récit érotique que j'allais pouvoir faire auprès de mes amis. Comme quoi ce n'était pas vain que de m'avoir offert ces scandaleuses vacances puisque j'avais baisé, preuve que j'étais vivant ! Après quoi sûrement ils me laisseraient tranquilles voire, et j'en croisai les doigts, ils me laisseraient partir...
Mais je partis avant ça. La jeune femme avait un plan et j'étais le détail, minable et suffoquant, manquant à son exécution.
Elle m'exécuta.
Pourquoi ? Comment ? Je ne le sais vraiment pas mais je peux dire que quand son couteau souleva un à un le pli de mes boyaux, j'avais ressenti comme un truc. Imperceptible certes mais un truc, un souvenir de sensation comme quand j'en avais, à la pelle, de ces saletés-là et que moi aussi je prenais des trains non pour fuir mais pour rejoindre, non pour aller là-bas, mais pour retrouver ça : le sentiment de s'oindre avec autre que soi.
Quand tout fut fini et que mon évanouissement, préliminaire sans doute d'une absence totale, fut acté, je peux même dire que j'eus, à la place des creux constituant mon visage, une sorte de sourire.
Je me souvenais d'elle. Ce n'était pas si pire.
Georges Lacombe - Marine bleue |
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