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Dormir ! Entrer, blépharons obturés, portes ouvertes, en ces endroits polysémiques où tout crisse autrement. D'abord, physique, en bastions de ronflements - comme de ces soupiraux où s'engouffre le vent et qui font croire aux kids que les fantômes existent - mais surtout à la tête, au litchi rachidien, à la petite pomme que cadrent nos épaules, c'est là qu'il se passe des choses...
Des tangos d'âme ! Des passions certes stases cependant sachant moudre le mil et les blonds poils, afin d'en faire une poudre joliment idéale. Et qui monte au cerveau, via des coulisses, via des grues, via des poulies...des numéros d'étoiles pas reniés aux Folies ! Ce que je veux dire nu, moi, c'est qu'en dormant, on ne dort pas. On palpite, on crépite, on croissante en fin de compte notre pain quotidien ! Ah tous ces crimes commis sans que prison nous grêle, ah tous ces corsets noirs craquant rien qu'au regard, ah toutes ces villes visitées et toutes ces morts blêmes qu'on sut survivre seulement en se pinçant, ou en criant pensant qu'il était vrai trop tard. Mais on s'est réveillé. On se réveille souvent. Un nombre incalculable. Si bien qu'on en oublierait presque, qu'ainsi dormant, on la met toute entière notre peau sur la table.
Parce que le petit jour rehaussant la conscience n'est pas garanti lui non plus. Il est chanceux, chéri, amour. Il est à vénérer très vénérablement, ce déclic sain de l'exsudant ! Ce pollué cœur au charbon revenant ! Malgré les cadences infligées et cette menace qui pèse, à chaque nouvelle rencontre, qu'il fut encore brisé...déjà que c'était dur la morne adolescence ! Enfin il s'exécute ce cœur et peu à peu, on se réchauffe et peu à peu sortent nos yeux...du monde vers le monde.
On fait à notre niveau un petit travail solaire, découpant en petits cubes l'amertume des rêves ou rejetant du front ces perles cauchemardesques qu'on sans doute racontera à l'amante, ou bien au compagnon.
"J'ai fait un de ces nightmares ! Un Alptraum de premier ordre ! J'étais là et en fait, à la place de ma peau...la peau que je peux toucher, palper, masser et mordre...j'avais nul que des os...des os partout à tous les membres...je me touchais, c'était osseux, je me regardais, c'était osseux, je me pensais, c'était osseux...tout s'était ossifié...alors je me tournais vers toi mais tu n'étais pas là et quelque chose me disait que tu n'avais pas été...un os brûlé en somme pour l'idée...et bref, je demandais de l'aide mais on me répondait pas, on osait les sourcils ou bien l'indifférence...moi, tout os, de ma mâchoire blanche et visible, je faisais de mon mieux pour pas rester bouche bée devant tant de lésine...oh, c'était difficile...j'en avais du liquide qui sauçait mes jointures mais je devais rester droit, pas trop courber l'échine...sinon on m'occirait, j'en étais quasi sûr...y avait qu'à voir comment ils me traitaient...battant mes abattis à la matraque si pas j'obéissais à dormir dans des centres, avec d'autres osseux dans mon genre, aisés à la rapine, zozotant aux opiums et tous bien qu'oscillants, bien mieux taillés que moi, et donc soit je perdais mes dents à cause du bâton de l'Etat, soit à cause des frérots n'ayant pas d'autre choix que de me savonner l'ombre, pour récupérer peut-être, juste après la baston, sur mon corps calcifié plus inapte à saigner - ça coulait juste, sans aucune douleur, en liserés rouges le long des jambes, comme des bas résilles - un bout de fémur à revendre...pour s'acheter du savon à l'absolue lavande ! Même si en vérité certainement des drogues. Parce qu'il faut bien tenir quand on ne tient plus debout et qu'on ne peut plus dormir à force d'être couchés. Parce qu'il faut bien le faire venir par la force le petit jour rehausseur de conscience quand on s'en sort plus des nuits. Quand elles s'allongent et qu'elles se rafraîchissent au point de glaçonner et de poser en partant, des damiers de miroirs partout sur les chaussées...quand elles bleuissent les orteils et les pouces, les nuits, quand elles nous envahissent...derrière même les vestons et les couettes, quand elles nous gâtent d'idées terribles...quand elles nous font mourir, à petits feux très froids et sans qu'on puisse rien dire.
Parce qu'on a pas la langue quand on est un squelette, pardon, un sans-abri.
Enfin, ce n'était qu'un rêve, heureusement je t'ai et je t'ai dans mon lit."
Ah mais attends, pourquoi tu pars comme ça ?
Attends, attends...
*
J'ouvre les deux volets et le jour m'assoie
- tandis que batifolent perceuses et marteaux -
sur un sopha de solitude.
Tout restait en travaux.
Comme d'habitude.
Hilma af Klint - Colombe N°12 |
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