Quand, du haut de mon enfance lourde d'insécurité
J'observais sans tendresse le cri de mon cadavre
A peine né.
C'est que j'étais du genre squelette depuis le premier soir où inopinément frappa sur mes attelages d'os confus immenses le martinet horrible de la main maternelle...
Tout enfant, moins osseusement construit, aurait pleuré, se serait mis à genoux voire aurait embrassé de sa bouche remplie d'ombre ce menorah de doigts...
Tout enfant sauf moi car j'ai toujours questionné
Les formes du cauchemar et quel fût l'intérêt
Pour l'Humanité
De les faire rentrer, aussi directement, dans la réalité.
C'est là le drame de toute intelligence, elle fonctionne à rebours et déjà dans un monde percé de toutes parts...Je donnerai tellement de mes sublimes joues pour que puisse s'inverser ce triste état de fait, bien installé maintenant au creux européen de nos psychologies, qui dit...
Que les rêves jamais n'arriveront sur la Terre
Alors que les cauchemars nous dominent entièrement.
Embrasser la femme de toute une vie, prendre le premier train pour la mer juste là et se baigner en elle tandis qu'à nos pieds dansent les fleurs de l'océan, c'est là de ces fantasmes formellement impossibles car...même si pareille femme existe et qu'il lui prend l'audace de nous aimer aussi, même si le train est à l'heure et que, un miracle en appelant un autre, la mer l'est également...et même si le sable nous fait la gentillesse de ne pas s'infiltrer entre les creux superbes de ce lit conjugal...même si tous ces magiques prérequis sont sait-on comment doucement réunis...et bien l'écume sera tiède et formulera un rhume qui formera une fièvre qui obligera la venue, dans cet idéal théâtre, d'un médecin moustachu ayant tôt fait d'ausculter notre femme...
Et de ce geste de survie surviendront tous les drames, toutes les tragédies...Ô jalousie de l'amant, ô liberté esthétique du ventre qui fait gicler partout et sans gilet de sauvetage le filet savoureux de sa protubérance...et puis, sexe, enfant, et mort. Sans aucune pensée pour ces fleurs d'océan ayant duré un jour et que l'Homme continue d'appeler Dieu sait pourquoi "amour".
Le rêve, état du corps et de l'esprit, permettant à ses deux de faire du ciel une compagne et du temps un appui, n'existe que dans les rêves...
Mais le cauchemar, mais le cauchemar lui...
Même notre frayeur la plus brutale et la plus obsessive n'est qu'une soie dérisoire en face du textile, brodé avec obstination, enrubannant nos yeux dès lors que s'allume la fosse télévisuelle...
L'arrivée sur notre ventre d'un démon à fesses de cuivre et regard noir
Le saut du dix-millième étage
La découverte d'une salle de classe où il faudrait revenir ou d'une autre plus grande dedans laquelle on parle en ayant oublié avant de se vêtir...
Tous ces terrassements infâmes ne sont que des vins pétillants quand ils sont comparés à la vinasse tranquille, mais imbuvable et mauve, que nous force à becter chaque jour nos trottoirs quand coulent sous nos yeux, en fromage grisâtre, le corps de nos pauvres...
Si se rajoutent à ça la guerre, les faillites nombreuses...de la bourse, du coeur ou de la poésie...ainsi que l'appât noir fixé à notre dos nous rappelant toujours qu'un jour on quittera l'eau...
Il paraît réaliste que de dire que le cauchemar est vrai
Alors que le rêve tient du jeu, absolument, désintégré.
Je dus me rendre à l'évidence que j'étais très malade
Quand, au bas de mes cauchemars à la gorge béante
Je trouvais des beautés, rubis à s'y méprendre
Me donnant l'impression de vivre comme un sarde
Dans l'Italie des contes
Avec des bijoux longs sur toutes mes phalanges
Et rien que des remèdes endormis dans mes bagues :
Parfums d'après orage, senteurs d'oblongues mangues
Capables d'arracher une larme, croûte farcie d'émotions
Aux paupières asséchées des plus commotionnés pour qui l'amour tenait
D'un chien
Terreux et noir, qu'une semaine plus tôt ils avaient enterré...
Avec mes gaz sous mes diamants et mes liquides sous mes citrines chauffées
Je faisais venir le rêve, élégamment,
Et le rêve de crier
Comme un miracle, comme une rime,
A peine né mais délivrance.
Johann Heinrich Füssli - La belle Gertrude, Hamlet et le fantôme du Père |
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