C’est mon anniversaire ! Et, comme chaque fois à cette date,
je n’ai pas réussi à fermer l’œil de la nuit. Dehors, il fait
déjà jour mais si faiblement que les oiseaux n’ont pas encore
commencé à chanter. Dans la chambre, étrangement, le lit de mon
frère est vide. Il se vante souvent d’être un grand garçon
courageux mais j’imagine qu’il est parti dormir en bas à cause
d’un cauchemar. Je descends l’escalier. La maison est chaude,
plus que d’habitude, on a dû oublier d’éteindre les radiateurs
car j’entends celui de l’entrée crachoter, brumisant au passage
de son souffle toutes nos paires de chaussures. De derrière la porte
de mes parents, j’entends mon frère et mon père ronfler, le tout
en rythme comme une sacrée machine.
J’avance ensuite vers la
cuisine où je retrouve ma mère, également debout dès l’aube et
sûrement dérangée par leurs respirations. Elle regarde au loin, et
même si je ne la vois que de dos, j’arrive à en déduire que ses
yeux sont très tristes. J’hésite à la surprendre. Finalement,
conservant une respectueuse distance, je lui dis simplement :
« Maman ? » alors elle se retourne et dans un geste
mal maîtrisé, elle renverse une tasse posée en équilibre sur le
plan de travail. L’objet éclate, provoquant une détonation qui,
par réflexe, me fait reculer et refluer au niveau de l’entrée.
Réveillé par le bruit, mon père accourt, je le vois passer devant
moi sans me voir puis se jeter dans les bras de sa femme. « Que
se passe-t-il, Lise, tout va bien ? » ; « Oui,
j’étais ailleurs et j’ai juste fait tomber une tasse, rien de
grave. » répond-elle d’une voix entamée par les larmes.
« Ne bouge pas, je vais ramasser les morceaux. » Et mon
père s’exécute mais lui aussi semble distrait puisqu’au moment
de rassembler tous les fragments pour les jeter à la poubelle, il se
coupe légèrement au niveau du pouce droit. Il saigne un peu mais
surtout, plus inquiétant, il paraît sangloter lui aussi. Je ne le
vois que de dos là encore de l’endroit où je suis mais, grâce au
langage du corps, je le devine très bien.
Puis, quittant un instant
mes parents des yeux, je remarque que parmi les chaussures disposées
sous la bruine brûlante du radiateur, les miennes sont absentes.
J’entends alors ma mère dire, d’une voix calme et résignée :
« Elle aurait eu huit ans. »
Mon père acquiesce,
lentement, comme une machine épuisée, avant de se rapprocher
d’elle. Dans les bras l’un de l’autre, ils forment comme un
tout et, avec le sentiment de gêner si jamais je les avais rejoint,
je décide, silencieuse et polie, de remonter dans ma chambre. Je
m’allonge dans mon lit, essayant, malgré cet incident, de vite me
rendormir. Le jour est maintenant levé et les oiseaux aussi. Ils
chantent… « Happy Birthday ».
Simon Stalenhag - Crossing |
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