"Heureux sont les incinérés !"
Auteur inconnu
Auteur inconnu
"Cadavre est création, maman, c'est que je me tue à te dire depuis dix ans déjà.
Déjà dix ans...qu'avions-nous alors comme unique compagnie ? Mygales, poussières et serpents !
Je m'en souviens de ceux-ci comme des cages thoraciques dans lesquelles nous creusions à la recherche d'un porte-feuilles, d'un peu de monnaie du moins..."
Cadavre est création, poupée dure, je te l'hameçonne en boucle sur le pulpeux des gencives car tu fais celle qu'ignore ! Or tu n'ignores pas que quand on se décompose, on compose également et avec merveilleux ! Des noirs, des jaunes, des bleus, on se pisse et plisse des ouvertures le temps que des velues colonies se radinent, bien soigneuses et en rang. Avec des dents pour tout corps, les insectes ensuite s'infiltrent, soulèvent les pierres des chairs mortes, vont à la chasse au rubescent ! Ils s'enivrent aux dégoulinances qu'on cachait sous nos yeux, nos abdos et nos côtes. Ils buffetent aux adrénalines sauveuses de monde qu'on gardait pour plus tard, aux désirs de romances florentines qu'on eut pas tout à fait l'occasion d'exaucer parce que trop occupés par le jeu des factures et du toit sur la tête. On en avait pourtant des stocks et des stocks de ces nuits épaisses d'étoiles qu'on demandait qu'à projeter en douce en labourant la main d'une amante cruciale ! Toutes inutilisées.
Ce qui fut en revanche franchement consommé, dans le temps imparti par les songes soutenant l'existence, ce furent les tristes après-midis sans victoire ni feu. De ce carburant maigre, nous fîmes des collections de voyages statiques et miséreux ! De pleines et grandes armoires à trophées de ces chambres sinistres où pas une rose vint nous solliciter...On les connaît si bien ces pièces à l'abandon...dont chaque mur pousse le reflet d'un intouchable rêve ou le visage net d'un de ces cauchemars d'enfance greffé à notre épaule. On a pas réussi tous. Et on a fini par en mourir très invariablement. De là nos coffres ont pustulé, répandant des trésors viscéraux qu'un bouquet conjugal de fourmis et bousiers dérobera à pleine bouche.
Se fait-on à la terre ? A l'idée d'être en elle, de lui fournir des minéraux ainsi que l'hébergement pour un trillion d'apaisées coccinelles ? Se fait-on, maman, à cette idée de créer seulement dans la Mort un peu de vivant ici ? Par des cocons, des léthargies, des érections d'amphores microscopiques sur le revers du torse jusqu'à ce qu'elles s'ébrèchent, qu'en naissent des chauves-souris ? Se fait-on à l'idée de nature permanente ? Que le crédit toujours n'est qu'un pas vers la pente, et qu'il n'y a rien à dire, rien à ressusciter, puisqu'on est déjà, foutu, en quelque sorte, au moment d'exister ?
Quand les néons se braquent sur nos paupières légères, fines flanelles beiges abritant un caillou soit noiraud soit marin, et que le docteur s'applique à faire sortir le premier cri...A cet instant précis où tout se détermine dans le tournoiement sourd des couleurs au plafond : lumières, humains, fragilités d'action, dans cette mêlée rosace d'instincts en partition pour une rive plus tankée - celle de l'éducation - on doit pouvoir deviner, même tout bébé, qu'une longue tache relie tous ces morceaux ensemble. C'est le pâté de la mort, notre débâcle innée et qu'importe qu'à côté les robinets soient d'or. On va se défigurer, s'affaler membre après membre sur l'amère vérité...l'Unique au monde :
Qui vit succombe !
Et qui succombera sera sous peu repas d'araignées en tout genre. Il n'y aura pas de rallonge, pas de surprise postérieure, nous vivrons d'ici à ce qu'on meure. Cela peut paraître bête à dire, bête à écrire, bête à penser mais nous serons bientôt les rôtis fantasmés de ces bêtes invisibles que nous écrasions las quelques heures plus tôt. Nous sommes leurs garde-mangers à ces saints animaux...qui eux ne font pas dans le détail ou dans le calcul des sommes. Ils dégustent et bourdonnent. Ils thésaurisent pas tellement sur l'éclat potentiel d'une amitié nouvelle ou sur comme c'est risqué d'avouer ses sentiments. Ça non, ils ne font pas de longues lettres, les insectes, ils écrivent en étant...et ils sont davantage de par ce principe simple, que tant d'hommes dits grands.
Alors...Allons...prenons avec nous nos bagages restants : une valise vide prête à tout accueillir et une valise pleine de tout ce qu'on peut offrir, et filons par les routes, en colonies amènes, nous aveugler au mieux de ce qui nous attend. Baisons sur le soleil à s'en roustir les os, forniquons in la lune dans ses caves de cristaux, faisons des langues aux vents du soir et des grimaces mièvres à l'enfant qui nous regarde. Tâchons de mourir avec le moins de rubis pourrissant en notre âme,
Avec pas un saphir resté sur le squelette et rien que quelques gemmes, qu'on se réserve à dire, à quelque future femme...
Façon poète oui...déclarons notre flamme, au point qu'elle s'éteigne, en laissant derrière elle qu'une tache de cendre *...
Il n'est d'ailleurs pas d'autre façon de mourir aisément
Qu'en disparaissant pauvre
De tout notre présent.
Adolf Wölfli - Anneaux océaniques et Île-fontaine gigantesque |
* l'Auteur aurait très bien pu, ici, au C. substituer un T. de la même importance.
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