NOTE D'AVANT-LECTURE : CE QUI SUIT EST L'EXTRAIT D'UN LIVRE TOUT PROCHAIN. MERCI DE BIEN LE PRENDRE EN COMPTE, MEME SI CETTE NATURE PARCELLAIRE NE SAURAIT JUSTIFIER - en aucun cas - TOUTES SES INCOHERENCES.
"Voici Poot,
Il est mort."
Épitaphe du poète et écrivain Hubert Kornelisz Poot
*
Christopher n'en revenait pas. D'une soirée ordinaire faite de chips et d'organes les pourléchant de sucs, il se retrouvait le ventre vide dans les rues d'un souvenir. Son programme différait et il détestait cela, surtout les veilles de voyage. Mais c'est qu'à vingt-deux heures, surpris par une fringale que l'été aurait dû par sa chaleur lester, il s'était mis en quête d'une épicerie classique. Sauf qu'étrangement l'office où il avait ses habitudes affichait cette nuit-là porte close. Son proprio, un oriental peu regardant et prompt à faire crédit selon les douces coutumes de la vie de quartier, était tombé malade. Alors il avait emprunté des coursives, offert sa nuque aux lampadaires de venelles moins connues, croisé des âmes grises couchées comme des cadavres sous des plafonds de toiles et cartons ainsi que flirté avec des terrasses sombres où chantait perdition. Il s'était immergé dans un territoire de côtes pavées quelques centaines d'années plus tôt par des travailleurs desquels les bleus gonfalons métalliques cointant chaque intersection avaient oublié le nom, leur préférant des particules. En tel dédale, il avait découvert des artères embrumées, spectatrices d'aucun monument ni jardin et, à tout pas fait, s'était senti intimement comprimé par celles-ci. La ville l'avalait et toujours pas trace, à la pointe du chas rapetissant l'horizon, de la moindre ombre du drugstore espéré. Il allait rebrousser chemin, rentrer chez lui migraineux de famine et de télévision quand un morceau de devanture attira son regard. Il marcha encore bien dix minutes avant d'en pouvoir faire la vérification et de voir heureusement que l'échoppe était vive. Dedans gesticulaient de comateuses anglaises luttant comme elles pouvaient contre les vomissements, ainsi qu'un garçon du genre ange, sûrement fils du patron.
Soulagé, Christopher s'appliqua à choisir les mets les plus gras parmi la large gamme des chères apéritives. Deux sachets de chips au vinaigre et le double de chocolats noirs tenaient fébrilement dans ses bras grâce à l'appui de son ventre lorsqu'il balança, aussi poliment que possible, l'ensemble sur le comptoir afin de régler comme il se doit. Le patron toussait, les patrons toussent toujours. Tandis qu'il facturait en toussant chaque article à un prix démoniaque, Christopher n'eut même pas le temps de s'en révolter, de par lui, pusqu'il se rendit compte qu'un élément manquait : son porte-feuille était parti. Envolé, positivement désintégré. L'ayant sans conteste senti contre sa cuisse quelques minutes plus tôt lorsque, intérieurement là encore, il s'était demandé s'il n'allait pas dégainer une pièce pour réjouir un mendiant...il écarta de suite l'hypothèse de l'oubli. Le réflexe de Christopher fut donc dans la foulée d'observer tout autour de lui histoire de savoir si tel ou tel client n'était pas responsable du larcin essuyé. Il ne restait que les anglaises et, d'après l'abrutissement qui leur courait aux veines, il était impossible de les penser malsaines. Quid alors du garçon ?
Immédiatement, Christopher avisa le patron, toussant encore et peu intéressé - c'était visible - par autre chose que sa salivation, de la perte attestée. Puis il lui demanda si en effet, il connaissait, en parent ou voisin, le garçonnet qui se tenait ici cinq minutes y avait pas. Le patron toussa et fit une mine désolée qui cette fois, allait au-delà des développements de son râle angineux. Christopher, saisi d'une angoisse inédite et tout à fait différente, puisque réelle, demanda au patron de bien vouloir garder ses achats en suspens avant de se ruer vers la sortie et de tenter une traque.
Le vol subit en douce a ceci d'étonnant qu'une fois qu'on l'appréhende, on sous-estime les dangers encourus dans son désir rétributif, là où, dès que le voleur agit en force, le lésé très souvent se recroqueville et prie. L'acte est pourtant le même ; un objet est volé, mais sa façon - pacifique ou violente - tord d'un coup la Justice. Or, Christopher s'hâtait peut-être vers un coupe-gorge mais il s'estimait cent fois plus légitime et plus fort que si l'assaillant l'avait assommé juste avant. Dans ce cas-là, il serait allé gentiment se répandre en pleurniches dans le commissariat le plus proche. Tandis qu'ici, qui plus est car il se pensait la cible d'un comme trois pommes enfant, il arpenta le torse haut ces rues d'auparavant. Mais, ne les maîtrisant pas et ne sachant pas où chercher, il dût se fier à la chance et à son petit bonheur. Après tout, il n'avait pas de flair ni d'instinct, n'était pas enquêteur et on ne peut même pas dire qu'au temps jadis il fut gosse excellent lors des chasses au trésor. Alors il décanta au pif, suivant cette façade ou celle-là selon son bon vouloir, sa teinte profonde ou ses fenêtres, débouchant dans cette rue plutôt qu'une autre parce que son nom paraissait receler de graphiques indices, sautant jusqu'à tel trottoir parce qu'une odeur un poil plus familière s'en éventait vaguement.
Cette chasse aléatoire le mena tout naturellement vers une avenue qu'il n'envisageait pas. Un décor gargantuesque, studio de cinéma mais figé dans la pierre qu'on imaginait mal avoir Paris pour mère. Normal, c'était Delft...la Tranquille, la Potière, la chère amie des céramistes, le Valhalla des vaisselières ! Delft, en carreaux et en eaux, reconstruite à l'intacte en plein arrondissement ! Christopher, d'y revenir, n'en revenait toujours pas. Petit, il avait vu cette ville dans certains livres avant de la visiter avec ses deux parents le temps d'une journée. Il en avait gardé son vide et sa beauté. Son calme suranné de cité bleue et blanche dans laquelle pas un tank n'osa s'aventurer, par respect des faïences. Il s'était depuis dit qu'il y retournerait quand il serait adulte afin de l'admirer en connaissance de cause. Il n'y était pas revenu. Ce surgissement fondamental d'un bloc du passé n'ayant cependant pas rendu son portefeuille, Christopher mit l'émotion de côté et continua ses recherches dans la Delft nouvelle. Et ce d'autant plus facilement qu'à présent il savait où chercher.
Il y courut à toutes jambes. Ces dernières, affamées et du reste très loin d'avoir sur leur C-V pareille course nocturne, firent pleuvoir, en guise de nerfs et de musculature, quelques sauterelles lactiques obligeant Christopher à ralentir ses gestes. Il se devait, quoi qu'il en soit, de marcher, on ne cavale pas dans les annales ni ne déboule près des tombeaux ! On fait ça bien, avec le pas comme un pinceau, d'une vermeerienne façon, pour pas rien réveiller et que les porcelaines conservent leurs poissons. Les coalacanthes peintes méritent force silence !
Et c'est ainsi, silencieusement, que Christopher, après avoir vu sur le canal des grappes de lampions le peindre de leur sang, arriva devant la Vieille Eglise de Saint-Barthelemy. Qu'elle était belle avec sa tiare relevée de cinq aiguilles, son horloge jaune et noire que supportaient deux lions et son côté penché donnant l'impression qu'elle désirait sauter, se détacher, et prendre un bain de maisons ! Elle avait l'air d'un immanquable propice à l'effusion. Christopher y rentra.
Sa nef ivoire colorée par le bois rappelant son origine fit à la dérobée un effet de trouvaille. Si le diable est grossier, Dieu s'y sait en détails ! Et son ouaille passagère d'ambuler automate près des Christs accrochés et des vierges sanglantes jusqu'à se retrouver face au confessionnal. Là, il capta comme un rire, un mouvement de cristal, très blond, très végétal. Il ouvrit l'isoloir.
Sur le siège principal, celui du confessé, se trouvait une fine bande de papier sur laquelle se lisait : "C'est à moi !"
Sur le second fauteuil, celui du confesseur, se trouvait le perdu portefeuille.
Entre les deux, sur le grillage, gouttait lentement un liquide noir...comme du sang séché mais qui serait encore, on ne sait comment, chimiquement vivace.
*
Christopher quitta Delft, son église et même l'épicerie sans encombres spéciales.
Il avait oublié les chips mais ce n'était pas très grave puisqu'au moins son réveil était mis, pour dix heures, soit deux avant le départ. Quant à son portefeuille, il était sur la table.
Giovanni Battista Piranesi - Partie d'un port magnifique et spacieux nous amenant en Rome antique |
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