Aux murs seulement de se laisser abattre
Qu'elle était adorable, ma beauté transalpine, avec son sac de courses et ses talons charbon
D'une mise sublimée par sa légère folie, sa menue déraison, qu'était toute nécessaire cependant car elle seule peut passer par-delà l'écusson et par-delà les ans.
L'écusson des gendarmes, des armateurs de murs en vrac, des qui voyagent avec entraves, toujours, et qui rêvent barrièrés ou alors qui se font des petits fantasmes, d'enfants, de fric ou de viande froide.
J'ai jamais d'ailleurs trop compris pourquoi tant de personnes déconnectés du jour étaient dotés et possédés du désir de le faire naître dans les yeux d'un troisième...
C'est comme si un couple de tortues se piquaient soudain de l'idée d'aboutir d'un vacherin ou d'un saint-honoré, ça n'aurait que peu de sens mais c'est cela pourtant, majorité de naissances.
Mais bon quand même il y a des exceptions, importées d'Italie avec redirection, pour elle, en chemin vers la France, vers des stations de ski pour le teint de la peau et encore des cascades pour l'apparence des yeux et le libre des cheveux...
Je les ai cherché longtemps, sur sa carte, ces cascades qu'apprivoisent les Dieux par jalousie, avant qu'elles les rembarrent en tant que sources vraies, elles au moins, de la vie...
Et parfois même je les ai constaté...les pressentant le temps d'une accalmie, d'un verre de vin au lit.
Comme une histoire, c'était joli.
Sauf qu'enfin les histoires, vous savez ce qu'on dit, elles sont du genre à finir voire à s'écarteler.
Il y a peu d'histoires qui s'étalent sur des siècles, tout comme il y a peu de place, au creux tendre du Temps, pour seulement faire la sieste. C'est un travail des pieds jusqu'à la tête que de se tenir debout et variance dans l'assiette, que de manger à sa faim sept jours sur sept, que de pas grandir trop bête ni trop manipulé, en se colletant tout de même, même quand on est honnête, quantité de petites saloperies, pancréatiques ou de salaires, éloignant notre couette ou serviette à la mer.
Heureusement que la mer, moi, si vous avez suivi, elle est venue me voir de son propre chef, un soir de ripaillance où son regard me fit monter, sur tout le visage, une cicatrice de chance.
Après, ça avait été, cascades et dimanches, des ronces aux joyeusetés, j'avais été jeté et j'entrevoyais, sur la portée, en plus des noires, maintenant les blanches !
Après, après, comme je le disais, même les vacances n'empêchent pas, au fond, d'être bien travaillé, parce que même quand votre histoire touche au merveilleusement, celles des autres vous reviennent émouvantes, salies de sédiments et de porosités en tout point éprouvantes, ce sont les soupirs des parents qu'ont pas de quoi s'acheter, les larmes jaunes du copain que l'on vient de quitter, des hurlements humains près du commissariat...
La suite, c'est la distance. Des murs et des murs en veux-tu en voilà, entre ma cascadelle native de l'Etna et mes mains de forçat.
Qu'elle était adorable, ma beauté transalpine, avec son sac de courses et ses talons charbon
D'une mise sublimée par sa légère folie, sa menue déraison, qu'était toute nécessaire cependant car elle seule peut passer par-delà l'écusson et par-delà les ans.
Ce sac était là pour mon linge et cela faisait dix ans qu'elle le remplissait comme une version moderne du flacon empoisonnant Tristan...
Dix ans que j'avais pas vu la mer ailleurs qu'en ses yeux clairs et que ça me suffisait...
Pour cette oeillade-là, perpétuité de privation pour faire l'équivalence m'aurait fort contenté.
Mais il fallait que je sorte, un jour ou l'autre, il le fallait.
Et cette sortie, je la craignais, à cause des vis que rive au crâne l'abominable isolement, granité châtiment du corps jamais possible, rien que l'esprit pour compagnie, en prison, notre corps on l'oublie, c'est pour cela qu'il y en a tant qui se tentent au culturisme et qui hantent ses bancs : c'est pour que leurs reflets grossissent afin d'en voir encore un bout, dans ce miroir avalant tout.
Or, comme l'esprit, en prison, en plus de ça, c'est l'ortie intégrale, mes angoisses étaient légitimes quant à mon évasion prévue selon la loi.
On en a vu des jamais s'en remettre, et des plus costauds que moi...
Imaginons que je sorte et que je n'en veuille pas de tout ce qu'on me propose : air libre, salles climatisées, restaurants en faillite, stress du trafic, débats télévisés, boîtes de nuit où travailler, des bourgeois et des alcooliques, le ciel et sa mécanique, son gris industriel pondant par pluies épaisses ces gars qui fument au devant de leurs immeubles, avant de remonter, au bureau, les poubelles, l'absence toujours plus grande ici des pianos, objets rares, on en voit plus que dans les gares, il y en a dix en tout qu'on fait voyager au sein de toute l'Europe pour pas qu'on les oublie, ces zèbres satinés aux coeurs musicaux, entrailles d'argent d'où resplendissent un milliard de coraux, par un Schubert ou un Shostakovic, par un Satie ou un Gould en studio, reprenant Bach depuis le cerveau, parsemant au passage sur chaque continent, des miettes de survie et des canots de sauvetage pour les beaux sentiments...
C'était d'un monde sans Gould ni miettes supplémentaires que je craignais, c'était vrai, et aussi que ma Sicile, ma Miette à moi, finisse en me voyant par me voir réellement. Parce que jusqu'à présent, ça avait été les vacances, même en prison quand on y pense...on demeurait dans l'exceptionnel et du côté de l'intense. Mais quand je serai sorti, on devra faire face à nos routines, à tous nos rituels tristes dont on ne peut se défaire et qui souvent s'abattent pas simultanément, alors c'est l'engueulade et puis les premières briques du mur - cette fois - nous séparant. On allait finir par savoir, forcément, à se côtoyer de la sorte, tout ce que nous ignorions et de l'un et de l'autre. Nos habitudes. Mais comme les miennes étaient toutes entières carcérales, c'était peu dire qu'elles étaient pas charmantes mes addictions. J'étais devenu rude par voie d'imitation.
Alors ma cascade, toute adorable qu'elle était, il était à prévoir qu'elle en ait vite marre que je la pénètre sans doigté ni chanson, rien qu'en mettant mes pieds sous la table, attendant du repas sa boisson et de la nuit qu'elle soude, par je ne sais quelle opération, le circuit éclaté de mes aspirations. C'est dingue comme on pense la nuit réparatrice, comme si dans le sommeil il y avait quelque chose d'autre, un monde tout nouveau et tressé d'Idéal qui attendrait qu'on s'endorme pour débouler sur Terre. Dans ce monde-là, pour sûr, on aurait plus mal, ni au ventre ni à la clavicule, on serait d'une souplesse de virus et d'une fermeté de flanc dinosauresque ! Et nos désirs, dans ce monde, auraient le bon goût d'affleurer à nos bouches juste avant l'abandon, oui, ponctuels toujours seraient les dons et nos dos aussi durs que les dimétrodons ! Jusqu'au réveil bien sûr...Le réveil et ses murs : son corps, sa chambre, son lotissement, son ciel, sa pollution. Notre liberté toute relative parmi les couches de cet étrange oignon qui fait pleurer même quand on y touche pas. Pleurer façon cinéma. Pleurer de revoir mon italienne, de l'avoir dans mes bras et d'avoir peur de lui faire de la peine...
Mais attends mais tu crois qu'elle était heureuse, elle, pendant ces dix années ?
A se chronométrer le coeur comme font les sportifs histoire de ne pas chialer au moment des visites, parce qu'elle voulait que tu vois que dehors, ils tiennent mieux les sourires, à pas s'autoriser d'autres tendresses ou bites parce que tu en avais décidé de la sorte, parce que selon toi, qu'un autre la touche, ça te la rendrait morte...précaution de caverne énormément biaisée, mais bon, mais bon, pas le droit de baiser ni de changer de ville, de s'espacer...parce que soit elle t'aimait chaque semaine, soit elle disparaissait. Et toi, t'as toute cette vie devant toi, d'une dévotion d'astre à sa constellation, et tu te tâtes quant à un futur d'affres et de prostrations ? Tu crois qu'elle va t'adorer moins en te découvrant ? Mais elle n'attend que cela que de faire ta connaissance, depuis dix ans, que de savoir ce qu'elle ignore sur toi, ce qui se cache dans ton sang idem qu'à l'arrière de ta voix. Ce truc qui fait que tu es toi. Et qu'elle vient te voir. Et qu'elle te verra. Et qu'ensemble malgré la pollution et tous ces agrégats, vous parviendrez à l'avoir votre sieste. Avec le corps de l'autre en guise de couette et puis c'est marre...
C'était joli comme une histoire.
Jean-Jacques Lequeu - Esquisse d'une construction de jardin |
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