mercredi 13 décembre 2017

La perpétuité (1)

Une tempête de sept lieux saignait les rues nuiteuses de mon village natale, et sous ses métastases, d'un beau volume noir, ma tristesse augmentait. Tristesse et puis colère pour parler vérité parce que j'étais furieux du sort qui se jetait dans cette épave lâche que ma maison devenait. J'étais même pire que furieux car j'étais résigné et frappé mortellement des morts alentours que vivaient mes parents. Alors, en fils bon mais sans doute mauvais, tandis qu'ensemble et silencieux ces deux s'assassinaient, je pleurais à ma fenêtre sous le roulis du vent. Et j'ai pleuré à ma fenêtre souvent, presque dix ans s'il fallait compter comme j'étais encore un bel adolescent quand tout a commencé à tourner dénouement. C'étaient des cris d'abord et puis des cris toujours, des assiettes ébréchées servies à ces dîners, dépossédés d'amour, où s'adossait le sang sans bénédicité.

Ma mère, pareille à elle-même, c'est-à-dire courageuse mais pas assez pour fuir, pleurait également semaine après semaine. Quant à mon père, rendu saoul par la houle des larmes l'entourant, il avait fini par oublier ce que cela faisait que de sentir sa joue se tremper de ces roses douées de résipiscence. Il avait, il faut dire, assez malheureusement, au sortir des trois-huit de sa vie travaillée, mis de côté idem ses souvenirs d'enfance où la gaieté, cet immense beau temps, lui dévoilait les dents. Il n'était depuis plus qu'un long mensonge et qu'une longue apparence, autrement dit qu'une longue violence qui pour lui décidait. Et elle décidait mal et on était chaque jour, tout en le regardant, comme forcé d'observer les ravages de l'usine mêlés à ceux du temps. Même sa maladie - triple-pontage tout de même -...apparue là pour qu'il s'intéresse de nouveau à son coeur...n'avait su l'éloigner des digues du malheur qui par sa bouche sautaient comme passent les heures. Mon père pourtant, avait été un homme et pas tellement moins bon que tous les autres hommes, mais cet homme avait échoué, avec toute sa famille, sur la plage embêtante d'une mer creusée - comme une fosse hostile - où se décomposaient limons et sentiments.

Depuis, la tempête n'avait eu de cesse de ne jamais cesser, et entre mes parents, ça se jouait à celui capable finalement de ne pas céder aux sirènes du crime ainsi qu'au phare du cran enfoncé dans la gorge de l'époux légitime...Ils poursuivaient en somme un meurtre qu'ils savaient impossible tout en le commettant de mille et une façons. Par exemple ce soir, juste avant que la tempête habituelle n'éclate, ma mère était persuadée que mon père cherchait à nous empoisonner. Elle était sûre qu'il manigançait, dans son dos ramassé, de piètres enterrements en échangeant l'eau qu'elle achetait au supermarché par de l'eau dégoûtante, mi-chlore mi-robinet. Alors, parce que le doute l'hantait, elle le lui a brandi...

"Tu changes notre eau en poison blanc dès que je vais me coucher !"
Et il a répondu : "Mais non mon amour, c'est dans ta tête, il faut te faire soigner !"
Et puis, ils ont crié, et puis je suis monté, devant ma fenêtre pour pleurer.

Le fait est qu'ils avaient tous les deux raison en plus d'avoir tort, parce que d'une cette eau était vierge de chlore et que de deux mon père, sûrement sans s'en rend' compte, nous empoisonnait très effectivement. Et oui, c'était dans la tête, cette même tête rendue incompétente à tout essai joyeux, et oui il était évident que nous devions, tous les trois, tous nous faire soigner dans l'espoir d'aller mieux. Mais aller mieux...aller mieux, c'était trop tard, trop tard comme l'éclaircie alors qu'il fait nuit noire, trop tard comme le bonheur alors qu'autour de soi glisse que désespoirs...

Bien qu'à la réflexion...ce mariage, tout raté qu'il était, était une réussite
Comme mes deux parents allaient demeurer là, dans cette maison où pleuraient toutes les vitres,
Jusqu'à ce que la mort, antique, les sépare.





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