jeudi 15 janvier 2015

New-York, depuis la fin des arbres

Je m'étais promis de ne pas raconter cette histoire, par pudeur déjà et par peur surtout d'être pris pour un fou. Parce que cette histoire n'existe pas tout à fait. Elle n'est pas réelle et sort seulement d'une boîte crânienne abrutie par l'angine et les médicaments. Une boîte crânienne de type qui ne dort pas assez, qui ne sort pas assez, qui n'en fait pas assez. Enfin...

Tout commence à New-York, il y en a un an de cela, en plein hiver et pendant que neige tombe. New-York...cette ville est une énorme erreur, un immense bouquet de boyaux suintants la boue et l'eau décolorée. Un machin fumant d'une tristesse absolue avec dedans des millions de gens qui vont et viennent sans parler la même langue. C'est Babel effondrée et sans soins médicaux.

Ce lieu - New-York - et cette date - il y a un an en plein hiver - n'ont que peu d'intérêt pour la suite des événements. Joe m'a d'ailleurs conseillé de ne pas les évoquer mais je l'ai fait malgré tout par souci classiciste. Joe, c'est ma relectrice, une géniale personne dont le potentiel est si grand qu'elle pourrait se mettre à apprendre le russe et gagner un concours de dégustation de hot-dogs dans la même journée que j'en serais à peine étonné. Joe n'aime pas les lieux communs, Joe aimerait que l'imagination domine tout et toute chose et que nos doux cerveaux nous permettent de tracer dans le ciel à un million à l'heure. Joe n'aime pas tellement ce que j'écris, je le vois à la moue qu'elle fait parfois quand elle m'envoie un chapitre relu et corrigé par mail...je vois sa moue dans son "voir ci-joint", je la vois sa grimace d'insatisfaction et c'est pourquoi je m'efforce de plus en plus à produire des histoires percutantes basées sur le monde des rêves.

Malheureusement pour moi et pour Joe, comme je suis du genre torturé et toutes ces conneries, je rentre beaucoup plus facilement dans le monde des cauchemars que dans celui des rêves et il est par conséquent très fréquent que mes "rides" sur la voie lactée se terminent par des twists peuplés d'enfants découpés et de têtes lentement énucléées. C'est terrible quand même que de ne pas savoir se satisfaire de quelque chose de joyeux alors qu'on pourrait en être théoriquement capable. Capable d'écrire une nouvelle qui filerait la banane, la fraise, la pêche voire l'abricot. Mais je n'y arrive décidément pas, quand on me montre un fruit, je ne sais voir que les vers qui bientôt l'embrasseront.

Quoi qu'il en soit, il n'y aura pas de fruits ni de vers rampants dans cette histoire qui, je le rappelle, commence à New-York l'année dernière en plein hiver. Je suis alors de passage dans la fausse capitale pour affaires amoureuses et plutôt que d'occuper mes journées à flâner gaiement parmi les avenues surchargées de buildings flippants, je les occupe à tousser et à éternuer toutes les humeurs en mon corps disponibles. En vacances mais malade comme un chien et sans ma moitié pour veiller sur moi puisqu'elle doit bien travailler pour pouvoir gagner le pain qu'elle dépose, une fois le soir venu et de sa main sublime, dans ma bouche asséchée. Le scénario est jusque là plutôt inconfortable, vivable bien sûr mais loin d'être jouissif, lumineux, grandiose ou tout ce que vous voulez.

On a un homme seul dans un appartement new-yorkais et cet homme a un rhume qui lui gâche la vie. Cependant, celle-ci continue alors il l'occupe comme il peut, par exemple en observant le mouvement anarchique des oiseaux ou en regardant des programmes outranciers à la télévision. Et les heures passent et la neige tombe, et sa copine travaille et l'histoire, silencieuse, va bientôt émerger.

Sa copine rencontre un homme là où elle a pris l'habitude de manger à midi. Cet homme est serveur, souriant et beau garçon. Et il n'est pas malade et il n'a pas tendance à tout vouloir noircir et il n'a pas de kilos en trop. Le bâtard. Au départ, sa copine n'envisage rien du tout avec le serveur mais sa gentillesse et le contraste qu'elle crée avec la lourdeur marquée de son actuel amant font que...De fil en aiguille et d'aiguille en fil, le sourire se transforme en baiser; le baiser en histoire d'amour fou...

L'homme est toujours malade et ignore tout de cela. Trop concentré qu'il est sur lui-même et sur le fait d'avoir toujours à sa disposition trois ou quatre mouchoirs au moins. La télévision illumine ses yeux jaunes comme un mini Time Square et son âme peu à peu perd en intensité. Il se souvient de quand il était jeune alors qu'il n'est pas encore vieux, c'est là un signe certain de désespoir. Il pleure et éternue, se mouche et pleure et se mouche puis éternue. Son existence tourne à l'informité. Trouble sphère verte de déceptions et de caillots fiévreux.

Et sa copine est amoureuse d'un autre.

L'homme est toujours en vacances, il ne voit rien, il sombre dans une forme de pure paralysie. Comme s'il n'avait pas su se retenir et qu'il avait regardé Eurydice dans les yeux. Sauf qu'Eurydice est la faucheuse cette fois-ci et que...

Hey mais qu'est-ce qu'il y a dans ce meuble sous le téléviseur. On dirait une sorte de manteau mis en boule, du gros tissu imperméable replié sur lui même...hey mais il y a de la ficelle autour de ce manteau...on dirait que cette boule est serrée contre autre chose...

L'homme ouvre le meuble de télévision qui, derrière une fine couche de verre fumé, renferme cette boule partout ligaturée. Au toucher, son impression de "tissu imperméable" se voit immédiatement confirmée. Son sentiment qu'un objet est caché à l'intérieur, sous le tissu et les ficelles, également.

Il est 10h du matin, sa copine revient habituellement de son travail vers 17h. Il peut tout à fait découper les ficelles puis s'arranger soit pour les remettre en ordre soit pour aller en acheter d'autres afin de refaire le paquet et de ne pas se faire prendre en plein délit d'intense curiosité. Il s'arme d'un couteau et coupe tant bien que mal au travers des cordes solidement serrées.

Elles finissent par lâcher et le manteau par découvrir ce qu'il cachait.

Vu la masse et la forme qui s'en dégagea, l'homme crut en premier lieu qu'il s'agissait d'un crâne.

Sa médiocre santé avait dû lui jouer un tour puisqu'il s'agissait, finalement, simplement d'un carnet d'une facture standard. Noir, plein de feuilles et d'écritures, il n'avait rien qui le rendait unique. Il n'avait pas l'air de dater de l'époque des premières révolutions humaines ni de renfermer en lui des dessins et incantations susceptibles d'obliger Satan à venir jouer au bridge illico presto. C'était un carnet noir d'une inquiétante banalité.

Néanmoins, l'homme continuait de se demander pourquoi il avait été dissimulé de cette manière...de façon à être partiellement invisible...et c'est en gardant cette question dans un coin de sa tête shootée à l'aspirine, qu'il ouvrit le carnet et qu'il en lut le titre :

"Journal d'une fille spéciale"

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Motorcycle Display Team - Album Cover

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