Des créations de toutes pièces de veines énormes et compliquées,
Du genre qui luisent quand la sueur fait spectacle et que le cœur bat fort à cause de la pression...
Des contractions et des maux de tête, nuits courtes, journées fauchées par un soleil comme nous voulant du mal. Des palpitations. Des souvenirs verts, gris, mauves, transparents. Des souvenirs terribles. La nuit...grande chaleur sur toute la nuque...se lever d'un seul coup, toucher le drap et sentir sous nos doigts le liquide. Nous avons transpiré. Ouf ouf. Nous avons transpiré. Ouf ouf. Nous n'avons pas saigné. Nous aurions pu pourtant. Et tellement. Retrouver nos oreilles sur le porte-manteau et notre cheville gauche près du lavabo. C'était un scénario concevable. Il ne fallait pas une imagination de taureau découpé dans le fil pour se dire que "oui, soi, éparpillé comme ça, c'était gravement possible". Et donc Vassili les cuisses paralysées, le cuir chevelu trempé de toute éternité et les yeux tels ces caténaires renversés par la foudre. Quelle vie franchement ! Une vie de mort. On pourrait penser que ce genre d'existence infléchirait la production mondiale de cartes postales aux tons jaunes et gais mais celles-ci continuent de naître éperdument. Celles-ci naissent puis éclosent, depuis la fleur faite enveloppe, dans toutes les mains et meubles de la planète. Et les écritures sont nombreuses et les mots sont les mêmes : "Mes vacances sont belles (je suis heureux, alcool moins cher, soleil en réussite)...je pense bien à toi (charité outre-chrétienne)". Et des cheveux blonds, bruns, bleus et roux, après avoir lu cette carte postale, voient une main passer en eux. Cette main est émue. Elle ne le montre pas car l'émotion d'une main est surtout invisible. Car c'est de la chair posée à plat sur de fines tiges strictes. Mais elle est émue cette main. Les phalanges parlent, les phalanges murmurent tandis qu'elles balaient les cheveux blonds, bruns, bleus et roux. Elles disent : "Merci pour la carte...tu me manques aussi...je vais me faire un thé". Et les thés, ainsi, se font.
Vassili, lui, ne se fait plus.
Il se défait. A vue d’œil, à vue de montre. Toutes les quinze minutes, il a comme un os qui saute.
Vassili est malade.
Quand les docteurs, du haut de leurs monocles, ont annoncé la nouvelle à Vassili, Vassili n'y a pas cru. Il faut dire qu'il se sentait alors en excellente santé. Le muscle immense, la dent marmoréenne, il n'éprouvait que du plaisir à côtoyer son corps. Alors, vraiment, cette maladie, il ne la comprenait pas.
Les mois passèrent.
D'insomnies à cause de l'estomac en insomnies à cause du mur qui perle, Vassili continuait à se demander s'il était bien malade.
Quand il commença à cracher du sang les soirs de mauvaise visite, il aurait pu se dire que oui, sûrement, c'était bien ça être malade...mais il ne se le dit pas.
Car pour lui les malades étaient les lépreux et non les passionnés,
Parce qu'il ne ressentait pas, contrairement aux docteurs, l'infection de l'homosexualité
Parce que la seule chose qu'il ressentait, hormis la peur de mourir dans cette cage oubliée, c'était l'envie d'écrire une carte postale ou de se faire un thé.
Son thé ne se fit pas.
Pour ce qui est de la carte postale, elle fut si l'on peut dire retrouvée sur son corps sans vie.
Il s'agissait de quelques lignes : des courbes pour imiter les vagues, un cercle en guise de soleil, et puis un mot, comme gravée à l'encre, au milieu de sa paume :
"Sain"
Francis Bacon - Etude inconnue |