Les baisers sont des meurtres qui ne disent pas leur nom. Quand on est en beauté, quand on est en jeunesse, les baisers sont des meurtres dont la marque de sang est un fin cercle rouge parfois nimbé de plomb. La mort n'est, en effet, pas très différente du plaisir à son comble : le coeur subit un emballement, le coeur se gonfle de pensées et les mélange toutes, le coeur s'agrandit en quête d'air et, tel un soleil grenat, finit par éclater.
Bien évidemment, un grand nombre de baisers sont froids et une infinité d'arrêts cardiaques sont en réalité de simples maux d'estomac mais Esther, elle, possédait belle et bien une griffe meurtrière. En la touchant, on s'électrocutait, en l'embrassant, on goûtait au cyanure et à l'arsenic pur.
Entièrement dévolue à ses reflets cléments, Esther oubliait de s'apprêter pour s'assurer d'être en face des choses à l'heure demandée. En face de cet immeuble nouvellement illuminé, en face du visage de son cher amoureux.
C'était un vingtenaire aux angéliques joues, aux sourcils arqués et aux yeux de félin, des yeux d'un vert sombre qui se teintaient de jaune quand il faisait trop froid. L'artiste harmonie de ses traits avait, jadis, fait sa renommée. Alors qu'il n'était qu'un membre régulier des jardins d'enfants parisiens, il avait été repéré par un photographe confirmé qui l'avait dans la foulée choisi pour qu'il illustre, tout sourire, un reportage sur le "bonheur en France".
Rattrapée comme nous tous par le temps et l'espace, Esther quitta son miroir et prit en vitesse une douche avant de recouvrir son corps d'étoffes stylisées.
Vingt minutes plus tard, après un voyage souterrain coupé par un changement, après avoir essuyé sans y faire attention une centaine de regards, elle se trouva devant l'immeuble de son compagnon d'âme...
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Jean-Léon Gérôme - Une idylle |